Susan George et les élections américaines : Le péril McCain
Société

Susan George et les élections américaines : Le péril McCain

Pour la célèbre politologue et militante altermondialiste américaine Susan George, l’élection de John McCain serait un "immense désastre" pour une Amérique déjà aux abois. Mais, avertit-elle, les adeptes échaudés de la droite conservatrice américaine n’ont pas encore dit leur dernier mot dans cette joute présidentielle.

Voir: Selon vous, la droite conservatrice américaine a repris du poil de la bête, surtout depuis la nomination de Sarah Palin comme colistière du candidat républicain, John McCain.

Susan George: "Détrompez-vous! La droite religieuse conservatrice et ultra-républicaine est toujours très puissante aux États-Unis. Celle-ci a été enhardie par la nomination de Sarah Palin comme colistière de John McCain. Aujourd’hui, les chrétiens évangéliques ou born-again Christians – au nombre desquels figurent George Bush ainsi que beaucoup de membres de son gouvernement – représentent quelque 70 millions de personnes. Ces chrétiens très militants ont un taux élevé de participation aux élections présidentielles. Ils sont très impliqués non seulement dans la vie de leur Église, mais aussi dans beaucoup d’organisations affiliées très influentes sur le plan social, comme Focus on the Family – La Famille avant tout – ou Concerned Women of America – Les Femmes engagées d’Amérique. Tout comme le déplacement à droite du Parti républicain a tiré dans la même direction les Démocrates, la droite religieuse a tiré, d’un point de vue politique, les différentes Églises protestantes traditionnelles, ainsi que les catholiques, vers la droite. Chose certaine, ces fondamentalistes opiniâtres n’ont pas dit leur dernier mot dans cette course présidentielle."

La crise financière qui ébranle l’Amérique depuis quelques semaines n’est-elle pas une sérieuse rebuffade pour les Républicains, de nombreux Américains considérant que ce sont les politiques économiques de George Bush qui ont mené à cette débâcle économique?

"Les fondamentalistes chrétiens et les membres des droites religieuse et laïque préconisent un libéralisme économique exacerbé mettant au ban les valeurs de progrès issues des Lumières et marginalisant les questions sociales et environnementales. C’est ce néolibéralisme économique débridé, aujourd’hui en pleine faillite, qui régnait en Amérique avec condescendance depuis le début des années 90. Mais plusieurs observateurs chevronnés de la scène politique américaine reprochent à Barack Obama de ne pas avoir fait preuve de leadership durant cette grave crise financière et bancaire. John McCain s’est empressé d’exploiter sournoisement cette crise à des fins politiques en donnant à Wall Street une leçon de morale. Il a demandé que les responsables de ce grand chaos financier soient sévèrement sanctionnés."

Le fiasco américain en Irak n’hypothèque-t-il pas aussi les chances de victoire de John McCain?

"En dépit du fait que plus de 4000 soldats américains sont morts en Irak, je crois que la majorité des Américains ne sont pas intéressés par cette guerre effroyable. Comment expliquer cette indifférence? La plupart des soldats morts en Irak sont des militaires professionnels issus de minorités ethniques et originaires de petites villes dont quasiment personne n’a jamais entendu parler. Ces jeunes hommes et ces jeunes femmes, la majorité d’entre eux sont des Noirs et des Hispaniques, sont aujourd’hui les seuls à s’enrôler dans l’armée américaine, essentiellement pour des raisons pécuniaires. Les Américains n’aiment pas perdre des guerres. Ils sont encore traumatisés par la défaite cuisante qu’ils ont subie au Vietnam dans les années 70. John McCain pense toujours que les Américains auraient pu gagner cette guerre. Il est terrifiant, ce type! Sa première réaction est toujours le recours à la force militaire. Imaginez ce qu’il pourra faire durant quatre ans s’il est élu président le 4 novembre. La nomination par les Républicains d’un homme de 72 ans qui a eu un mélanome grave, dont certains disent qu’il pourrait récidiver, et qui nomme comme vice-présidente une gaffeuse professionnelle, c’est totalement irresponsable!"

On reproche à Barack Obama, y compris dans le camp démocrate, de marteler un discours trop idyllique. Partagez-vous ce point de vue?

"C’est vrai. Pendant des mois, Barack Obama a fait rêver les Américains avec des slogans que chacun pouvait interpréter à sa façon. Mais dès qu’il a obtenu la nomination présidentielle du Parti démocrate, il a préféré jouer à fond la carte du réalisme et du pragmatisme. Il a très vite compris qu’on gagne les primaires à gauche mais que pour gagner une élection présidentielle, il faut aller beaucoup plus vers le centre, pour ne pas dire vers la droite."

Le facteur "racial" pourrait-il être déterminant dans cette élection présidentielle?

"Aucun Américain ne dira: "Je ne voterai pas pour un Noir." Ça, vous n’allez pas l’entendre. Ils le diront en famille autour de la table de la cuisine, mais ne le confieront jamais à des chercheurs ou des sondeurs. Donc, vous n’aurez jamais une réponse honnête à cette question épineuse. Ce qui se passe, c’est qu’on cache la question de la race derrière la question de la religion. La moitié des Américains disent qu’ils ne savent pas très bien quelle est la religion de Barack Obama. De 13 à 15 % disent très fermement qu’il est musulman. Cette rumeur lancinante est de plus en plus "crédibilisée" dans des franges importantes de la société américaine."

Avez-vous bon espoir que la grave crise financière qui sévit actuellement augure l’émergence d’un nouveau type de capitalisme moins vorace?

"Les Américains ont tendance à oublier les conséquences délétères des autres bulles qui ont éclaté il y a quelques années, comme la bulle technologique au début de l’an 2000. Dès que ces crises se sont atténuées, ils sont repartis de plus belle! La crise financière actuelle est la résultante d’un manque flagrant de "transparence". J’espère qu’on se souviendra longtemps de ce tsunami financier. Il est temps de jeter les bases d’un nouveau système économique et financier plus coopératif, plus transparent et plus responsable. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à plusieurs crises concomitantes, qui s’exacerbent les unes les autres: une crise financière, une crise sociale, une crise environnementale… On pourrait résoudre la grave crise écologique qui sévit en ce moment si ceux qui nous gouvernent s’attaquaient sérieusement à la crise financière. Pour cela, il faudrait que le gouvernement américain, et les autres gouvernements dans les pays industrialisés occidentaux, mette sous tutelle les grandes banques et les oblige à allouer des prêts pour financer des projets environnementaux, sociaux, communautaires… Il faudrait taxer les transactions bancaires internationales pour engranger des capitaux qui serviraient à lutter contre la pauvreté, le réchauffement climatique… Cette crise pourrait être une occasion d’amorcer ces changements impératifs. Mais, malheureusement, ce n’est pas du tout la tendance que l’on observe en ce moment."

La Pensée enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de l’Amérique
de Susan George
Éd. Fayard, 2008, 319 p.

Quel avenir pour les États-Unis? Le rôle des droites laïque et religieuse
Conférence de Susan George à Montréal à l’occasion du 25e anniversaire du Centre Justice et Foi
Le 27 octobre à 19 h
Au Gesù
Admission: 25 $

Pour plus d’information, communiquer avec le Centre Justice et Foi au 514 387-2541, poste 241