François Rebello et Al Gore : Dieu vert
Société

François Rebello et Al Gore : Dieu vert

"Il faut que notre lutte verte passe du niveau politique à celui de la morale." C’est en ces termes qu’Al Gore a ouvert une rencontre à Nashville au Tennessee, le mois dernier, avec les leaders des communautés religieuses américaines. Pour François Rebello, qui était sur les lieux, ce fut aussi l’occasion de mieux comprendre comment pensent les Américains du Sud.

RELIGION ET SCIENCE

À Nashville, on retrouve le musée du country et aussi celui des Dukes of Hazzard! Mais on est aussi dans la capitale des religions. À Montréal, nos quotidiens du samedi comprennent un cahier Arts et Spectacles. À Nashville, il y a le cahier Faith & Value. Plus de sièges sociaux de communautés religieuses que de sièges d’entreprises bordent les grands boulevards. On se rappelle aussi qu’en 1925, le Tennessee fut le théâtre du célèbre procès "Scopes Monkey Trial". Un enseignant était alors poursuivi pour avoir professé les préceptes de l’évolution dans sa classe alors que la loi de l’époque l’interdisait purement et simplement. Même si ce procès fut perdu, il marqua une étape décisive pour l’enseignement officiel de la théorie de Darwin. Aux yeux d’Al Gore et des leaders religieux présents, cette époque est loin d’être révolue.

D’ailleurs, d’entrée de jeu, Al Gore a conseillé aux leaders religieux de ne pas affronter les gens croyant au créationnisme. C’était assez intéressant de les entendre donner leurs façons respectives d’expliquer que l’histoire d’Adam et Ève est compatible avec la théorie de Darwin.

"Dieu ne peut pas empêcher le réchauffement de la planète, pas plus qu’il n’a pu empêcher l’Holocauste." C’est un argument qu’a livré un rabbin qui répondait à la question existentielle posée par M. Gore: "Comment expliquer à un croyant que Dieu ne peut pas arrêter lui-même le désastre environnemental?"

"Même si Dieu s’occupe de nous au ciel, ça ne nous dispense pas de nous occuper du monde d’ici là": une autre belle perle que j’ai entendue de la bouche d’un pasteur d’une des communautés protestantes.

DEUX ANS DE TRAVAIL

Il y a maintenant plus d’un an, j’organisais une conférence d’Al Gore sur l’heure du midi au Palais des congrès de Montréal. En soirée, le même jour, M. Gore allait aussi faire sa présentation à Toronto. C’est comme ça depuis ce temps. Il se passe rarement une journée sans que monsieur Gore donne sa conférence quelque part sur la planète.

Loin de vouloir baisser les bras, c’est avec passion qu’il continue à présenter ses idées. Un à un, il déconstruit les arguments des opposants. De façon éloquente, il établit le lien causal entre le réchauffement climatique et la consommation de pétrole par les humains. Appuyé par un des chercheurs du GIEC, le groupe partageant avec lui le prix Nobel de l’an dernier, Gore est vraiment convaincant. Il se permet même de s’emporter.

LE CHARBON "PROPRE"

Son coup de gueule le plus spectaculaire: la dénonciation du charbon "propre". Si vous avez suivi les débats présidentiels à la télévision, vous avez sûrement remarqué que le principal commanditaire était la Clean Coal Coalition. En fait, pour qualifier le charbon de propre, il faudrait que l’ensemble du CO2 qu’il émet soit capté et stocké. Selon Gore, bien que la technologie existe, aucune usine d’électricité au charbon n’est encore alimentée au charbon propre. Il sort de ses gonds lorsqu’il dénonce les 25 milliards de dollars de subvention accordés à cette industrie dans le plan de sauvetage de 700 milliards. Il est intéressant de noter que même Obama a mentionné, lors du débat à Nashville, le clean coal aux côtés de l’énergie éolienne et solaire comme source d’énergie propre. Remarquons que le charbon est un enjeu politique. Gore avait d’ailleurs perdu la Virginie, dont le charbon est la principale exportation. Cette fois-ci, probablement qu’Obama se fait plus subtil dans l’espoir de gagner ce swing state… D’ailleurs, les conversations que j’ai eues avec les gens de Nashville me laissent plutôt songeur quant aux chances d’Obama de gagner l’élection.

MCCAIN OU OBAMA?

Tous ceux à qui j’ai parlé dans les bars country m’ont dit vouloir voter McCain. La même chose au ranch où j’ai passé trois jours. Pour trouver des électeurs pro-Obama, j’ai dû aller voir une manifestation organisée par le Parti démocrate. Elle ne rassemblait pas plus de 300 personnes et ressemblait à une manif à l’Université Concordia pour la gratuité scolaire. "Comment vos parents vont-ils voter?" ai-je demandé à deux architectes trendy qui déambulaient, pancarte d’Obama à la main. Les deux ont dû m’avouer que leurs familles respectives étaient républicaines à l’os. Pourquoi? Habituellement, la même réponse. Les valeurs. Sans vouloir les nommer, on m’a souvent donné cette réponse brève.

Personne n’a osé me dire qu’il ne voulait pas voter pour un Noir mais tous ont reconnu connaître des gens ayant cette opinion. C’est là qu’on se rappelle qu’il y a moins de 150 ans, le Tennessee était un des États sudistes qui voulaient se séparer des États-Unis pour avoir le droit de continuer à exploiter des esclaves. Rappelez-vous le drapeau peint sur le toit de la voiture orange des Dukes of Hazzard! Si je me fie à ce que j’ai entendu là-bas, la victoire d’Obama est pas mal moins assurée que les sondages semblent le laisser voir.

TIRER DES ENSEIGNEMENTS

J’ai tiré des enseignements des convictions et de la science de M. Gore. Mais j’en ai aussi tiré des discussions avec les gens rencontrés dans les bars country comme au ranch.

"On devrait faire fonctionner les voitures à l’huile de maïs", m’a lancé un cow-boy en apprenant que j’étais un disciple d’Al Gore. Ce cow-boy était le fils du propriétaire du ranch, ancien pilote de l’armée américaine. "Les politiciens ont laissé la rivière se faire polluer par les papetières", a-t-il ajouté.

Un cow-boy vert? Oui, mais pas au point de voter pour Obama. Quoi qu’il en soit, ni le discours d’Al Gore, ni les propositions d’Obama ne l’ont convaincu. J’en tire la conclusion que de grands discours théoriques laissent plutôt froids Monsieur et Madame Tout-le-monde. C’est un peu cette réalité qui a détruit le plan vert de Stéphane Dion.

UN GRAND DÉFI

Si les sondages se confirment, Obama sera élu malgré les réticences de mon cow-boy. Il sera élu avec un programme prévoyant la mise en place d’un marché des crédits et d’énormes investissements dans les énergies vertes financées à même le portefeuille des pétrolières. Maintenir cette orientation sera tout un défi. Le président des États-Unis passe son temps à se faire "lobbyer" par les pétrolières. C’est là que nous verrons si Obama a ce qu’il faut pour passer du discours à l’action.