Daniel Jacques / La Fatigue politique du Québec français : Grosse fatigue
Société

Daniel Jacques / La Fatigue politique du Québec français : Grosse fatigue

Dans un essai passionnant, le philosophe indépendantiste Daniel Jacques sonne le glas du souverainisme québécois. Une radioscopie décapante du projet nationaliste québécois.

Voir: Une majorité de Québécois sont réfractaires à la tenue de nouvelles élections. N’est-ce pas un signe éloquent de leur "fatigue politique", phénomène dont vous analysez les causes dans votre livre?

Daniel Jacques: "Aujourd’hui, la fatigue politique des Québécois transparaît dans l’admiration et l’enthousiasme suscités par Barack Obama. Depuis quelques mois, tous les politiciens québécois se réfèrent, de façon un peu ridicule, au nouveau président élu des États-Unis. C’est la preuve patente qu’on voudrait aussi avoir au Québec une politique qui soit inspirante, c’est-à-dire habitée par un idéal. Au fond, la seule passion politique – pas l’unique projet politique – que les Québécois ont connue, c’est celle qu’a suscitée l’idée d’une indépendance, ou d’une souveraineté, éventuelle du Québec. Or, ce que les Québécois vivent aujourd’hui, c’est la perte d’un idéal, qui s’accompagne d’une nostalgie lancinante. Nous sommes en quête d’une forme politique plus inspirante. Notre morosité face aux élections qui s’en viennent, c’est une façon de manifester notre déception face à ce manque d’idéal."

L’intellectuel indépendantiste que vous êtes est arrivé à la conclusion que le projet visant à faire du Québec un pays souverain n’est qu’un voeu chimérique qui ne se concrétisera jamais. Cet aveu d’échec est un sévère camouflet pour les nationalistes québécois.

"Je suis un indépendantiste. Mais, avec le temps, j’ai réalisé lucidement que la réalisation de cet idéal-là se révèle aujourd’hui de plus en plus improbable pour plusieurs raisons, que j’énumère dans mon livre. Le fait de maintenir cet idéal qu’est la souveraineté, ou l’indépendance du Québec, en sachant toujours que celui-ci est repoussé et jamais actualisé, ça a des conséquences nuisibles sur la vie politique québécoise. Pour sortir de cette situation néfaste, on doit adopter une nouvelle attitude: retourner au sein du Canada. Il faudrait peut-être qu’on redevienne des Canadiens français. Mais soyons clairs et ne nous leurrons pas! En réalité, les Québécois n’ont jamais cessé d’être des Canadiens français au plan de la politique réelle."."

Selon vous, "le souverainisme, sous toutes ses formes, n’est finalement qu’un avatar de notre impuissance politique et l’expression pour ainsi dire terminale, résiduelle, de notre difficulté à être dans l’histoire". Vous ne faites pas dans la dentelle!

"Le souverainisme québécois, c’est cette confusion dans laquelle nous nous sommes maintenus au niveau des idées et cette impuissance de notre volonté de désirer une espèce de plénitude pour nous-mêmes. C’est ça, au fond, l’idée de fatigue politique que je décris dans ce livre. De toute façon, le constat de l’échec du projet souverainiste est patent. Une des conséquences malheureuses de notre impuissance politique, c’est le déni, c’est-à-dire de ne pas regarder la réalité en face. Les souverainistes sont incapables d’assumer pleinement l’échec qu’ils ont subi lors des deux référendums sur la souveraineté du Québec. Il est temps d’admettre que démocratiquement, à deux reprises, on a choisi de demeurer au sein du Canada. Les souverainistes ont beaucoup de difficulté à assumer cette décision collective et la réalité: le pays réel dans lequel les Québécois vivent est toujours le Canada!"

Jean Charest tient un discours à forte tonalité nationaliste qui ulcère les souverainistes. Les fédéralistes québécois ne sont-ils pas en train de puiser dans une rhétorique et une symbolique nationalistes qui, jusqu’ici, étaient l’apanage quasi exclusif des souverainistes?

"On a l’impression que la référence à l’identité nationale n’a plus aucun aspect dangereux ou révolutionnaire, que sa portée politique a été neutralisée. Par exemple, le Parti conservateur du Canada ne cesse de claironner à la Chambre des communes d’Ottawa qu’il reconnaît désormais la nation québécoise. Cependant, cette "reconnaissance" n’a aucun effet concret sur la Constitution et la pratique politique canadiennes. La référence à l’identité nationale est devenue essentiellement rhétorique. On vit aujourd’hui dans un univers de langage où la référence à la nation n’a aucune conséquence au niveau de l’organisation du pouvoir. Tout le monde a bien compris qu’il n’y a aucun risque à s’approprier le vocabulaire nationaliste, qu’on soit fédéraliste ou qu’on soit à droite, ou à gauche, de l’échiquier politique, puisque ce vocabulaire a été complètement vidé de son contenu révolutionnaire. Une des remarques les plus brillantes et les plus inspirantes d’Hubert Aquin dans un petit texte intitulé L’Existence politique, qu’il a écrit au début des années 60, est: "Ma plus grande crainte, c’est que les Québécois se contentent d’une révolution dans les mots, c’est-à-dire qu’ils se contentent de changer de vocabulaire au lieu de faire la révolution." On a effectivement changé d’identité en nous renommant nous-mêmes "Québécois". On a renommé nos institutions, on a reformulé notre vocabulaire politique… Mais, au fond, les structures fondamentales de la société au sens politique sont demeurées inchangées. Effectivement, pour les partis fédéraux, il y a un énorme profit électoral à intégrer une partie du discours de leurs adversaires souverainistes puisque, de toute façon, il n’y a aucun prix à payer."

La Fatigue politique du Québec français
de Daniel D. Jacques
Éd. du Boréal, 2008, 160 p.