Revue 2008 selon… : Sans rancune 2008
Société

Revue 2008 selon… : Sans rancune 2008

Des artistes, des personnalités et nos chroniqueurs réfléchissent sur la merveilleuse année (?!) que nous venons de passer.

BENOIT ROBERGE /
(Le Cas Roberge)

Alors, pas trop déprimé?

Au contraire! Je scintille comme une perle des mers du Sud. J’enfile les gin tonics envoyés par mes 1000 vrais bons amis sur Facebook. Une crise en vue? De quoi? Ah! Du foie peut-être?! LOL (Voyez comme j’suis relax.) Le box-office estival? Bah, peu importe sa nature, l’important, c’est de battre un record. Comment ne pas être fier d’habiter un village, le Québec, où règne la pensée unique, où tout le monde est visionnaire et cultivé. Non, j’vous l’dis, j’ai la pêche (génétiquement modifiée ou non). En cette fin d’année, je pétille comme un Louis Roederer Cristal dans les mains de Paris Hilton. Bon, laissez-moi décroiser les doigts derrière mon dos et enjamber le parapet. Ah! Du pont Champlain, la ville est magnifique. Reste à espérer que l’eau ne soit pas trop froide.

BÏA /

photo: Christiana Alonso

Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?

Si je suis malade: la guérison
Si je suis en deuil: le passage du temps
Si je suis marin en quart de nuit: l’aube et ma couchette chaude
Si je suis soldat: la trêve et des chaussettes sèches
Si je suis seul: un amour, un ami, un chien
Si je suis philosophe: l’illumination
Si je suis sur la plage sous un soleil de plomb: le marchand de bâtons glacés.

EMMANUEL AQUIN /

photo: Julie Pelletier

Par quoi devrait-on remplacer la F1 à Montréal?

Le week-end du Grand Prix a été pendant 30 ans une grande fête pour la Métropole. Pourquoi s’en priver? Après tout, la course elle-même ne dure que deux, trois heures. On peut facilement faire comme avant pendant les jours qui précèdent, avec les partys de la rue Crescent, les embouteillages au centre-ville, le bruit débile, les pronostics des experts et les parades de "plottes à tires". Quant à la course elle-même, le dimanche, il suffit d’engager une douzaine de nerds qu’on placerait devant un Xbox avec un jeu de Formule 1. Le gagnant se ferait arroser de champagne par des danseuses et serait invité à Tout le monde en parle.

COEUR DE PIRATE /

photo: John Londono

Y a-t-il eu quelque chose de positif cette année?

Je ne vois pas ce que je peux répondre de plus que Barack Obama… Je pourrais aussi vous parler des 30 ans de l’ADISQ, de la récession qui fait baisser le prix de l’essence ou des come-back soudains des New Kids on the Block, Metallica, AC/DC ou Nickelback, mais sincèrement, je crois que 2008 a été une très mauvaise année. En tout cas, c’est seulement cette année que j’ai réalisé que je devrais peut-être m’inquiéter pour mon avenir. Obama m’a calmée, au moins. Là, il faut juste attendre les résultats de sa première année de présidence chez nos voisins du sud, qui ont énormément d’impact sur notre beau Canada, malheureusement.

ÉMILE PROULX-CLOUTIER /
(Le Banquet, Le Déserteur)

Pourquoi est-on en crisse – pardon – en crise?

Pour VIVRE!

Mais pas vivre de colère. J’ai plutôt envie de croire qu’une crise fait surface parce que des questionnements essentiels dormaient depuis trop longtemps. Quand la cupidité boursière, l’arrogance partisane et le mépris envers les créateurs sont monnaie courante, normal qu’un jour cette monnaie cesse de courir. Au pied du mur, on se voit soudain forcé de se retrouver, de débattre, d’humaniser la "maudite machine". J’ai envie de croire ça. Même si…

Même si, chez nous, la fuite en avant, la colère sourde ou le repli sur soi prévalent souvent sur le défrichage de solutions nouvelles.

Quand même, autour de nous, il reste les gens, la voix, l’énergie, les oeuvres… et les signes sur les murs. Salut au graffiteur derrière ces mots: "Amis, gardons notre pessimisme pour des jours meilleurs!"

RACHID BADOURI /

photo: Larry Rochefort et David Brulotte

Qu’est-ce que vous consommerez moins pendant la crise?

Qu’est-ce que je vais consommer moins? En fait, il y a une chose que je voudrais éliminer de ma vie. Qu’on soit en crise ou non, je veux me débarrasser des détours, éviter les complications. J’ai envie que les choses soient simples. Je ne veux pas me casser la tête, je veux pouvoir me concentrer sur l’essentiel. Donc, moins de détours, peu importe le prix!

Qu’est-ce que vous consommerez davantage?

Pendant la crise, je vais consommer plus d’amour. C’est un placement sûr! Même si l’économie est en récession et que la Bourse chute, même si notre gouvernement creuse un déficit, l’amour ne perd jamais de sa valeur. Je vais donc me concentrer sur ma famille, passer plus de temps avec eux, les gâter. C’est important pour moi que ma famille soit heureuse.

MARIE CHOUINARD /

photo: Karine Patry

Qu’est-ce qui, dans l’état actuel des choses, vous incite à vous lever chaque matin?

une joie d’avance
écartèle mon sommeil
j’ai déjà hâte à maintenant
le jour m’étonne de son évidence
je n’étais pas là quelques minutes auparavant
me voici sortie du néant avec du temps plein les mains
pour l’instant l’état des choses: l’air de la chambre sa lumière
nos corps et les odeurs baignent dans une éternité qui se dévore
les hasards se nomment et les occasions s’enchaînent à la ronde jusqu’à
la fin du jour nous endormir au profond d’un état des choses
qui aura légèrement violemment obliqué… au matin
un soleil hypnotique témoignera encore
de ce monde où nous transvidons
l’inconnu dans le connu
le connu dans
l’inconnu

THOMAS HELLMAN /

photo: Karine Patry

Êtes-vous plus fier de votre passeport américain depuis le 4 novembre 2008?

"Je ne sais pas si on peut appeler ça de la fierté, mais je peux dire que je suis heureux pour l’Amérique et le monde. Je ne crois pas qu’Obama soit le messie, il n’est certainement pas parfait, mais je crois qu’il inspire, rassemble et donne envie d’espérer à une époque où on en a vraiment besoin. Et puis il représente une forme d’identité moderne dans laquelle je me reconnais: celle d’un métissage culturel qui brise les frontières."

CATHERINE MAVRIKAKIS /
(auteure d’Omaha Beach)

photo: Marie-Reine Mattera

Croyez-vous au "Yes we can"?

Nous n’aurions jamais cru il y a quatre ans, alors que les États-Unis élisaient à nouveau George W. Bush, malgré l’Irak, Guantanamo et le Patriot Act, que le 4 novembre 2008, les électeurs américains porteraient au pouvoir Barack Obama. Alors, oui, nous pouvons changer les choses. Rien n’est impossible. L’Histoire n’a jamais dit son dernier mot. Nous pouvons travailler pour qu’aux prochaines élections, au Québec et même au Canada, tout puisse basculer vers le mieux. Oui, "nous pouvons" rêver et agir en français. Il ne faut pas envier les rêves des voisins, mais plutôt faire advenir ceux de notre société. Non seulement nous pouvons, mais nous devons travailler à nous redonner des idéaux et à voir plus loin que le bout de notre nez.

FRANÇOIS PARENTEAU /

Aurons-nous un jour un Obama québécois?

La belle question, en forme de souhait. Le Québec peut-il encore générer ce genre de leader charismatique? Yes we can

D’abord, il m’apparaît évident que ce leader devra être indépendantiste. Le Québec est le territoire d’une identité. Le Canada est, pour les Québécois du moins, un deal. On ne peut pas se passionner pour un deal.

Idéalement, ce leader devra aussi avoir un petit quelque chose de "pas trop de souche", une petite racine exotique, une bouture, des enfants métissés. Il ne pourrait cependant pas être autochtone car les autochtones méritent bien d’avoir leur Obama bien à eux.

Ce leader devra d’abord et avant tout incarner le Québec dans sa parole. Il devra autant être à l’aise dans la belle grande phrase poétique en excellent français qu’avoir le réflexe de dire "M’ment d’nné, ça va faire", et non "Ça suffit". Dumont avait ça. Il avait un peu trop juste ça, mais il l’avait.

Et là je vais sans doute me faire frotter les oreilles, mais il me semble que ce serait mieux que ce leader soit un gars. Il me semble que l’image de l’homme québécois a été suffisamment mise à mal et que ça ferait du bien d’avoir enfin un modèle de winner. Et il pourrait tout autant faire avancer la cause des femmes en incarnant pleinement le nouveau type de rapport que le féminisme a pu nous apporter.

Enfin, on en a peut-être déjà un en gestation… Let’s go, Amir!

JOSÉE LEGAULT /

Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter autant d’élections?

Pour Stephen Harper et Jean Charest, la raison est simple, claire, précise et sans pardon: vous, peuple ingrat, avez osé élire des gouvernements minoritaires à Ottawa depuis 2004, et au Québec en 2007! Et comptez-vous chanceux de ne pas avoir reçu le fouet EN PLUS d’avoir enduré 22 débats de candidats par jour sur RDI et LCN, au point d’en avoir fait des cauchemars où on vous forçait à débattre avec Denis Coderre! L’équation était pourtant simple à comprendre: pas de majorité = pas de congé d’élections! Quoi? Avez-vous dit "phoque"?…

Voilà pour l’explication politicienne. Maintenant, voici mon propre Top 10 de nos péchés collectifs nous ayant valu une telle punition. 1) De regarder Occupation double plutôt que de lire Le Prince de Machiavel. 2) D’avoir élu Gérald Tremblay. 3) D’avoir empêché Stephen Harper d’avoir enfin sa majorité pour réaliser son rêve ultime: instaurer un système à parti unique! 4) De ne pas tenter de convaincre Barack Obama de nous envoyer un clone. Yes, we can! 5) De ne pas avoir demandé à la gouverneure générale la "prorogation" d’André Arthur. 6) D’avoir mis Hérouxville sur la map. 7) D’avoir envoyé un autre Trudeau à Ottawa. 8) D’avoir réélu Maxime Bernier. 9) De ne pas avoir proposé la biographie de Julie Couillard pour le Goncourt. 10) Et, surtout, éternels naïfs que nous sommes, d’oser encore espérer que le CHUM se construira un jour!

NICOLAS DICKNER /

Renaud Philippe

Qu’avons-nous fait pour mériter Stephen Harper?

Rien. Affirmer que nous méritons Harper suggère qu’il existe une justice immanente, un vaste plan divin au sein duquel notre pétulant premier ministre agirait à titre de deus ex machina. Cette idée est déplaisante – notamment parce qu’elle ferait se trémousser de plaisir Harper lui-même. Imaginez un peu: passer de Premier Ministre Minoritaire à Bras de Dieu! Voilà qui s’appelle prendre du galon. Nan, je préfère plutôt envisager le bonhomme comme une plaie climatique: un phénomène apparenté aux fronts froids, à la grippe espagnole et aux nuages de sauterelles. Ce n’est pas une vision très positive, j’en conviens, mais elle permet au moins d’espérer que le vent tournera un de ces quatre.

MICHELLE BLANC /
(spécialiste du web)


Pourquoi, au Québec, le Web est-il quasi absent de nos élections?

Tous les secteurs de la vie québécoise sont en retard sur le Web. Ça commence par nos élus et ça continue avec l’économie, la culture, l’éducation, etc. Nos élus baby-boomers sont des freaks du contrôle; or, pour que le Web fonctionne, il faut accepter une certaine perte de contrôle et ils en sont incapables. Les soupers spaghetti sont une recette connue, la sauce Web 2.0 fait peur puisque "les citoyens pourraient dire leur mécontentement". Même la FPJQ s’inquiète de la montée du Web. Le Web est perçu comme une menace à la stabilité du "pareil au même". Les élites communicationnelles qui conseillent nos partis croient encore aux vertus de l’affichage sur le bord de l’autoroute. Le Web, c’est donc une affiche compliquée à gérer qui est moins payante que le placement TV à pourcentage.

STEVE PROULX /

Pourquoi nos politiciens ne savent-ils pas nous parler?

Je dirais plutôt que les politiciens savent trop nous parler. Il est là le malaise. Les déclarations des chefs politiques sont à ce point travaillées, réfléchies, façonnées, mises en "clips" et dépouillées de leurs oripeaux controversés qu’elles finissent par ne plus rien goûter. Or, les gens, à force d’entendre ad nauseam les cassettes des politiciens, sont devenus de féroces bullshit decoders. On détecte les stratégies de communication à dix milles à la ronde. L’ardeur avec laquelle Pauline Marois a voulu nous convaincre qu’elle était une femme "simple, simple, simple" avait quelque chose de terriblement calculé, tout comme la ferveur nationaliste d’un Stéphane Dion ou d’un Jean Charest. À quand un politicien qui jouera à fond la carte de l’authenticité? Ça urge!