Chantal Line Carpentier, économiste et environnementaliste : Argent propre
Société

Chantal Line Carpentier, économiste et environnementaliste : Argent propre

Alors que la crise financière secoue la planète, les fonds éthiques pourraient représenter une manne et un bienfait pour la société. C’est l’idée que défend bec et ongles l’économiste et environnementaliste Chantal Line Carpentier, dans un ouvrage destiné aux investisseurs. L’investissement responsable sauvera-t-il le monde?

Voir: En pleine période de crise financière, les fonds dits "éthiques", ou "responsables", représentent-ils une option intéressante pour les investisseurs?

Chantal Line Carpentier: "Il est aujourd’hui de plus en plus évident qu’une entreprise respectueuse des droits humains et de l’environnement a aussi plus de chances d’être une entreprise de bonne gouvernance, qui sera donc plus solide et plus rentable à long terme. Récemment, à la suite de scandales comme celui d’Enron, on a commencé à considérer les investissements selon des normes ESG (gouvernance, social et environnement), en partant du principe que le non-respect de ces critères comportait un risque pour les investisseurs. L’investissement responsable est devenu non seulement un acte moral, mais aussi un choix rentable."

Selon quels critères détermine-t-on le caractère éthique d’un fonds d’investissement?

"Les premiers fonds éthiques ont vu le jour dans les années 1980 en Afrique du Sud. Des groupes religieux ont décidé de retirer leurs investissements du pays pour protester contre la politique d’apartheid. Le mouvement s’est ensuite étendu à des universités et des groupes américains. Selon Nelson Mandela lui-même, cela a contribué à l’abolition du régime, en 1991. Durant la décennie qui a suivi, on a surtout utilisé des filtres négatifs pour les "accréditer" comme tels, c’est-à-dire qu’on éliminait systématiquement du groupe des fonds responsables les entreprises en lien avec l’alcool, la prostitution ou encore l’armement. Et puis sont apparus des filtres positifs et les indices boursiers comme le GSI, qui sélectionnent les entreprises éthiques et responsables sur la base de critères qui vont du respect de l’environnement à celui des droits humains, en passant par la qualité de la gouvernance."

Investir dans des entreprises dites "responsables" serait un facteur de rentabilité, mais aussi, selon vous, une nécessité pour l’ensemble de l’économie.

"Aux États-Unis, lorsque l’État fédéral a accepté d’offrir son aide aux trois principales banques à la suite de la crise financière, il a assorti cette offre de certaines conditions éthiques. On a vu émerger l’idée selon laquelle ces entreprises devraient à l’avenir changer de statut social et intégrer à leur devoir fiduciaire la sécurité économique américaine. On est en train de voir la fin du pillage inopiné des entreprises, du "licence to operate". En Australie, un jugement a même été rendu récemment selon lequel la fiduciaire pourrait être poursuivie dans le cas où elle ne prendrait pas en compte les questions éthiques."

Choisir un fonds responsable est donc le moyen idéal d’exercer une véritable pression sur les entreprises?

"On a pu le voir au Québec notamment avec le cas de Gildan. En 2003, la FTQ a retiré sa participation à l’entreprise à la suite du licenciement de 38 employés au Honduras l’année précédente. La FTQ avait tenté de faire pression en rencontrant à plusieurs reprises les dirigeants de l’entreprise, sans succès. Deux ans plus tard, en 2005, Gildan a finalement présenté un plan d’action pour corriger la situation. L’entreprise a été accréditée en 2007 par la FLA (Fair Labor Association). L’étau se resserre aussi grâce à la multiplication de résolutions des actionnaires, un procédé qui permet aux investisseurs de faire pression sur les entreprises pour qu’elles changent leurs politiques. Depuis quatre ou cinq ans, notamment aux États-Unis, ces résolutions sont de plus en plus soutenues lors des votes par les fonds, qui n’hésitent plus à s’opposer aux gestionnaires."

Au Canada et, plus encore, au Québec, on investit encore peu dans les fonds responsables. Pourquoi?

"En Europe, aux États-Unis ou en Australie, le pourcentage de capital investi dans les fonds responsables croît à un rythme faramineux. Au Canada, entre 2005 et 2007, l’augmentation a été de 600 %, mais c’est encore insuffisant. J’ai constaté ce qui est pour moi une anomalie: les Québécois, qui se targuent pourtant dans les sondages d’avoir une fibre environnementale très développée, n’investissent pas plus qu’ailleurs dans les fonds éthiques. On serait même à la traîne. Selon moi, ce problème s’explique de deux façons: jusqu’en 2001, on ne proposait au Québec que 20 fonds éthiques, comparativement à 43 aujourd’hui. Par ailleurs, l’information est insuffisante et distillée au compte-gouttes. Or, si les Québécois consacraient 10 % de leurs placements aux fonds éthiques, cela représenterait une part de 10, 75 milliards de dollars."

Comment investir dans les fonds éthiques
de Chantal Line Carpentier et Michel Marcoux
Éd. Transcontinental, 189 p.

Chantal Line Carpentier est économiste en environnement et agriculture. Elle occupe depuis 2007 le poste d’agente principale de développement durable aux Nations Unies.