Le privé dans le système de santé québécois : Erreur médicale
Société

Le privé dans le système de santé québécois : Erreur médicale

L’entrée progressive du privé dans le système de santé québécois est une incongruité dont les incidences sur la qualité des soins médicaux prodigués aux Québécois seront très néfastes, avertissent des spécialistes chevronnés des questions médicales dans un imposant ouvrage collectif universitaire.

Voir: Une position unanime se dégage de cet ouvrage collectif: il faut à tout prix éviter que le système de santé québécois confère une place de plus en plus grande au privé.

André-Pierre Contandriopoulos: "Le principal message de ce livre collectif est de démontrer, moult données à l’appui, que toutes les analyses et études rigoureusement faites par des chercheurs reconnus au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde aboutissent à la même conclusion: il vaut mieux une régulation et un financement publics de notre système de santé qu’une régulation mixte privé-public. Ne nous leurrons pas! Un système de santé où le privé prend de plus en plus de place, où il y a une concurrence entre le privé et le public, ne permet pas de contrôler le coût total du système et n’améliore pas la qualité des soins médicaux offerts à la population, ni l’accessibilité à ceux-ci."

"Oui. On s’achemine tout droit vers un système de santé dans lequel les plus riches vont avoir des services différents de ceux qui seront donnés aux plus pauvres. Le journal Le Devoir a publié récemment une analyse comparative des systèmes scolaires en Ontario et au Québec. Les résultats de cette étude sont très éloquents: la qualité du système scolaire en Ontario est liée au fait que celui-ci est public, alors qu’au Québec, on a un système scolaire privé-public qui fait en sorte que notre système d’éducation public est de très mauvaise qualité. Dans le domaine de la santé, c’est la même chose qui va se produire. Il y aura pour les plus riches des cliniques qui offriront des soins raisonnables, et les plus pauvres seront traités dans un système public de santé qui continuera à se détériorer. Pour contrer cette tendance délétère, les Québécois doivent prendre des mesures assez radicales afin de poursuivre les réformes amorcées dans le cadre d’une régulation publique."

La crise économique mondiale, qui frappe aussi de plein fouet le Québec, pourrait-elle inciter le gouvernement de Jean Charest à confier des pans importants de la gestion de notre système de santé public à des entreprises privées?

"On peut se demander aujourd’hui si c’est l’État ou le privé qui va avoir moins d’argent. Quand on regarde ce qui se passe actuellement aux États-Unis, on a l’impression que c’est le financement privé qui n’a plus d’argent. C’est vrai que la crise économique actuelle rend plus difficiles les investissements financiers nécessaires pour réformer notre système de santé. Mais il est plus difficile aussi aujourd’hui pour l’entreprise privée de développer de nouveaux projets dans le domaine de la santé. Poursuivre vigoureusement une réforme du système de santé public pourrait être une mesure favorable au redémarrage économique."

Un méga-hôpital comme le CHUM réglera-t-il ce problème épineux?

"Non. Le CHUM fait partie d’une autre logique qui n’a rien à voir avec la première ligne médicale. Le CHUM, c’est la troisième ou la quatrième ligne médicale. Ce méga-hôpital n’offrira pas du tout les services que 90 % de la population va utiliser couramment. Cette institution hospitalière sera l’endroit où l’on va avoir des services de très haute technicité pour traiter des problèmes médicaux très graves. Ce pôle d’innovation et d’excellence, qui est toujours associé à des facultés de médecine reconnues mondialement, contribuera certainement à développer l’innovation et le progrès dans le domaine médical. C’est vrai qu’à Montréal, les lieux dans lesquels s’organisait cette médecine très spécialisée étaient vétustes. Chose certaine, le nouveau CHUM ne réglera pas les problèmes de tous les jours de la plupart des personnes malades."

L’un des grands défis de notre système de santé n’est-il pas les listes d’attente interminables, surtout dans les urgences?

"Les listes d’attente dans les urgences, ce n’est pas le problème des urgences, c’est le problème de la première ligne médicale, c’est-à-dire les soins de proximité, qui est très largement défaillante. La première ligne médicale, c’est le contact de proximité quand une personne veut consulter un médecin ou une infirmière. C’est le professionnel de la santé qui va nous accompagner durant notre maladie, qui va être le chef d’orchestre des services médicaux dont on a besoin pour être bien traité. La première ligne, c’est le point d’entrée dans le système de santé, l’endroit où l’on va pouvoir retourner quand on sera malade, qui va assurer la continuité, qui va nous donner de la confiance envers notre système de santé. Le grave problème qui se pose aujourd’hui, en particulier dans des villes comme Montréal, c’est qu’il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas un lieu cohérent où aller quand elles sont malades. Une fois, elles vont à l’urgence, une autre fois, elles vont à une clinique sans rendez-vous…"

Quel est le plus grand défi que le système de santé québécois devra relever au cours des prochaines années?

"Le plus grand défi, c’est de savoir si on va pouvoir poursuivre la réforme du système de santé québécois de façon cohérente. Si on fait ça, on a toutes les chances du monde de redonner au Québec un système de santé qui sera vu ailleurs dans le monde comme remarquable et dont les Québécois seront fiers. Sinon, on va alors laisser les intérêts de groupes organisés – assureurs, financiers… – prendre le devant de la scène. Cela se fera au détriment de l’équité d’accès aux soins de santé de la population québécoise. Ce faisant, on va perdre un sentiment d’identité, on va perdre quelque chose d’important parce qu’on peut dire sans se tromper qu’une société est à l’image de ses grandes institutions, et en particulier, que le Québec est à l’image de son système de santé. Et si on n’a pas au Québec un système de santé qui nous ressemble, c’est en fait que le Québec est en train de devenir différent de ce que l’on pense."

Le Privé dans la santé. Les discours et les faits
Sous la direction de François Béland, André-Pierre Contandriopoulos, Amélie Quesnel-Vallée et Lionel Robert
Les Presses de l’Université de Montréal, 2009, 472 p.