Lieve Joris : Un homme en guerre
Dans L’Heure des rebelles, l’auteure belge Lieve Joris suit le destin d’un homme au coeur d’une tragédie qui a entraîné des millions de morts.
Avec ce livre, l’écrivaine belge a délaissé le récit de voyage, qui avait été le sujet de ses ouvrages précédents, pour signer un roman. Une fiction certes, mais aussi un document fouillé qui s’ancre dans la réalité politique et surtout humaine du Congo, ce qui le rend plus éloquent que bien des rapports officiels, des grands reportages ou des essais géopolitiques que l’on a pu lire sur ce sujet difficile.
Lieve Joris a fait un long apprentissage de ce pays qu’elle a commencé à aimer dès le plus jeune âge. "J’avais un oncle missionnaire qui nous racontait, d’une façon tout africaine, des histoires et des légendes sur ce coin du monde. Ces bruits d’ailleurs m’ont donné l’envie d’y aller." Il y a 20 ans, elle entamait donc un cycle africain qu’elle est aujourd’hui en train de clore. "Avec cette histoire, je pense avoir tout dit ce que j’avais à dire sur le Congo."
L’HOMME DE L’EST
Ses longs séjours lui ont permis d’apprivoiser les Congolais. Au fil des ans, elle a récolté les impressions et confidences de centaines de gens de là-bas. Mais ce sont celles d’un homme en particulier qui ont retenu son attention. "Je l’ai rencontré en 1997. Il était alors l’homme à tout faire d’un tribunal militaire. Ça se voyait qu’il avait des choses importantes à dire."
Assani, tel qu’elle le nomme dans son roman, est un fils du Sud-Kivu, un Banyamulenge, ces Tutsis de l’Est du Congo dont les ancêtres venaient du Rwanda. D’abord victime, puis acteur du drame congolais, il a tout vu, tout connu des forces qui ont défait son pays: les années Mobutu, le génocide des Tutsis rwandais, l’afflux des réfugiés hutus, la prise de pouvoir du FPR. Il gravira les échelons de la hiérarchie militaire au fil de campagnes brutales, deviendra responsable "d’opérations spéciales" sur lesquelles l’auteure ne s’attarde pas.
"Au début, il pensait que j’étais journaliste, c’est-à-dire une sorte d’espionne envoyée par le ministère belge des Affaires extérieures, se souvient l’auteure. Petit à petit, il a compris que ce n’était pas le cas." On comprend pourtant mal pourquoi un homme qui a tant de parts d’ombre lèverait le voile sur sa vie. Selon l’auteure, c’était un peu pour lui une question de survie ou, plutôt, un devoir de mémoire. "Il pensait qu’il n’allait pas durer. Et il savait qu’il n’y aurait personne pour raconter son histoire."
En choisissant Assani comme porte d’entrée, c’est la classe dirigeante congolaise en entier qui s’est révélée à elle. "Je suis un écrivain de non-fiction, mon livre est 100 % documenté. Entre 1998 et 2004, j’étais dans sa vie, je le rencontrais. Et puis je rencontrais les siens, ses amis et ses ennemis. Des fois, il fallait le contourner pour mieux le voir."
NOS GUERRES, LEURS GUERRES
Lieve Joris n’a pas cantonné ses recherches dans l’Est du Congo. Pour mieux raconter ces guerres-là, il a fallu qu’elle s’intéresse à d’autres conflits fratricides. Elle s’est donc dirigée vers Sarajevo. "J’ai fait ces voyages pour me forcer à rester dans le sujet. J’ai étudié les guerres qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie, mais aussi les deux guerres mondiales. J’ai relu Primo Levi. Tout ça pour pouvoir mieux raconter ce qu’il y a de nous dans cette histoire congolaise."
En suivant un homme en particulier dans le contexte des rébellions congolaises, Lieve Joris nous montre que les mécanismes de la violence sont les mêmes partout. "Assani me fait un peu penser au jeune Marocain qui a assassiné Theo van Gogh. C’est un jeune qui n’a pas su s’intégrer dans la société hollandaise et qui a trouvé une cause plus grande que lui, dans ce cas-ci l’islamisme, pour donner un sens à sa vie." Le contexte est différent mais le fond de l’histoire reste le même.
QUEL AVENIR AU CONGO?
Lieve Joris ne déborde pas d’optimisme face au Congo. Elle ne croit pourtant pas que plus d’intervention occidentale soit la solution aux défis de ce pays. "C’est triste à dire mais les Congolais ne sont pas assez organisés. Les Rwandais le sont nettement plus. Le Congo, qui n’a pas d’armée nationale forte, importe des conflits qui viennent de ses pays limitrophes. Trop de forces extérieures déjà présentes interviennent au Congo. Ce n’est pas vrai que nous pouvons débarquer là-bas et tout régler pour eux. Il faut leur laisser le temps de le faire eux-mêmes."
L’Heure des rebelles
de Lieve Joris
Éd. Actes Sud, 303 p.