Anaïs Airelle : L'itinérante
Société

Anaïs Airelle : L’itinérante

Avec Pourquoi j’meurs tout l’temps, Anaïs Airelle s’inspire de ses propres expériences pour raconter l’itinérance.

Les Éditions Écosociété, connues pour leurs essais aux propos progressistes, se sont permis un premier écart vers le récit avec Pourquoi j’meurs tout l’temps.

Anaïs Airelle, jeune auteure originaire de Marseille, y raconte, sur le mode de l’autofiction, les longs mois d’itinérance qui l’ont menée des rues de Montréal aux forêts de l’île de Vancouver, pour se terminer par un retour au bercail européen. Inspirée par sa propre expérience d’itinérante après qu’elle eut quitté son emploi d’aide-soignante, elle fait le détail des pérégrinations en marge du système d’une jeune femme sans attaches. "Ce livre, je l’ai conçu comme un casse-tête. J’ai voulu prendre des petits bouts de mon histoire pour en faire un récit, mais ce que j’ai écrit est issu de situations réelles."

Le résultat est un texte qui, au-delà de ses qualités littéraires en tant que roman, a l’avantage de proposer un point de vue privilégié sur le sujet difficile de l’itinérance chez les jeunes. Car si, dans les médias, on s’intéresse souvent aux jeunes de la rue et aux défis auxquels ils font face, ceux-ci ont rarement la chance de s’exprimer comme l’a fait Anaïs Airelle, sans censure ou restrictions.

Sans faire office de plaidoyer ou de brûlot, le roman de la jeune femme brosse le portrait, en termes simples et directs, du visage de l’itinérance en Occident. "L’exclusion est un processus violent dans tous les pays, explique-t-elle. Ce qui change, c’est le contexte dans lequel elle a lieu. Au Canada, le territoire de la rue est très différent de celui en France, où l’on se parle plus, où il y a plus de contacts humains. Par contre, l’Europe est de plus en plus fliquée."

Même si, dans son roman, elle parle avec affection de ses "potes du Québec", elle garde un dur souvenir de son apprentissage des rues montréalaises. "Il n’y a pas d’espace public au Québec. Les gens le traversent comme s’ils étaient sur leur propre trajectoire. Ils sont souvent indifférents à ce qui les entoure. Je trouve ça incroyable, cette capacité qu’ils ont de se fermer les oreilles, de s’auto-anesthésier. Pourquoi? Pour préserver leur tranquillité? À Montréal, tu pourrais crever de froid dans la rue et personne ne lèverait le petit doigt."

Lors de son périple transcontinental, l’héroïne du roman visite des collectivités, des communes en Colombie-Britannique ou en Europe regroupant des exclus, des itinérants, des sans-papiers, qui s’organisent en réaction à cette anesthésie généralisée qu’elle déplore.

"Ces communautés naissent pour toutes sortes de raisons. Certaines, comme celle que mon héroïne visite dans l’Ouest canadien, sont nées par activisme politique ou écologique. Les gens qui se joignent à ces groupes le font pour la cause, d’autres, parce qu’ils sont paumés. En Europe, on voit de plus en plus de squats se créer, que ce soit par simple besoin de survie et d’entraide ou par conscience sociale. C’est souvent une chance pour une personne en errance de se retrouver dans ce genre de groupe. Lorsque tu te retrouves dans un collectif, tu ne peux qu’avancer."

Anaïs Airelle garde de son séjour canadien la certitude qu’avec la crise, il sera de plus en plus difficile pour les autorités de rester insensibles aux problèmes de l’itinérance et de l’exclusion. "Partout, c’est le bordel. Plus personne ne va pouvoir faire semblant. Non seulement nous sommes en crise économique, mais nous sommes en crise existentielle généralisée. La solitude, elle est partout, autant dans la cabane que dans la rue."

Pourquoi j’meurs tout l’temps
d’Anaïs Airelle
Éd. Écosociété, 2009, 130 p.