Bars et petites salles du Mile End sur la sellette : Montréal, ville ouverte?
Des bars et petites salles du Mile End, dont la Casa del Popolo, sont sur la sellette depuis que la police assure une présence plus soutenue dans le quartier. La gentrification aura-t-elle raison des artistes une fois de plus?
Il y a cinq ans à peine, le Spin, le NME et le New York Times consacraient des dossiers entiers à la scène anglophone montréalaise. On s’extasiait devant l’ouverture de la ville et particulièrement du quartier Mile End, berceau de cette nouvelle vague rock. De nombreux musiciens originaires de Toronto, de Vancouver et même des États-Unis et de l’Europe ont alors tenté leur chance, déménageant à Montréal pour profiter des loyers encore bas et des ressources qu’offre le Mile End, dont des studios d’enregistrement et de multiples salles de spectacles.
Or, le vent a tourné. De nombreuses salles qui présentaient des spectacles et vendaient de l’alcool sans les permis nécessaires depuis des années se sont fait pincer au cours de 2007 et 2008, période pendant laquelle le Service de police de la Ville de Montréal a resserré et multiplié ses contrôles.
Permis de restauration oblige, les clients du Cagibi (ancienne Pharmacie Esperanza) doivent maintenant commander de la nourriture s’ils veulent prendre une bière.
Au Centre culturel du Mile End, après une longue bataille avec la Ville de Montréal, le Green Room a reçu son permis de spectacles, mais ceux-ci doivent se terminer à minuit, tandis que le Main Hall, situé au deuxième étage du centre, ne présente plus de concerts depuis bientôt deux ans.
Dernière victime en lice, la salle de spectacles/restaurant Casa del Popolo demeure ouverte, mais a dû suspendre sa programmation pour les prochaines semaines. "Sans concerts, je perds environ 500 $ en ventes chaque soir", confie Mauro Pezzente, copropriétaire de la Casa, véritable pôle d’attraction de la scène musicale avant-gardiste du Mile End depuis neuf ans.
SE BATTRE POUR ÊTRE LÉGAL
Aujourd’hui, Mauro Pezzente se bat pour que la Casa del Popolo oeuvre en toute légalité et acquière un permis de spectacles de la Ville et un permis de bar émis par la Régie. Si la salle n’a besoin que de quelques rénovations pour recevoir celui de spectacles, l’obtention d’un permis de bar est nettement plus ardue.
Lors de la consultation publique et obligatoire tenue par la Régie cette année, ni la Ville ni les résidents du quartier ne s’y sont objectés. L’opposition est toutefois venue du SPVM qui voit la Casa comme un bar contrevenant. "Des inspecteurs nous ont donné des constats d’infraction en avril 2008 parce que nous présentions un concert payant sans permis, et parce que nous vendions de l’alcool sans offrir de nourriture, ce qui n’est pas conforme à notre permis de restauration", explique Mauro.
Aussitôt, le musicien de la défunte formation Godspeed You! Black Emperor a discuté avec les autorités afin de corriger la situation. Des architectes ont fait des plans pour rendre la Casa conforme aux exigences de la Ville, et une assiette de deux samosas (beignet farci de légumes ou de viande) était servie avec une bière. Mais en janvier et février de cette année, un inspecteur du SPVM en visite-surprise à la Casa a jugé que l’assiette de samosas n’était pas assez consistante pour être qualifiée de repas. Deux autres constats d’infraction ont été émis.
Après huit ans d’activité, pourquoi la Casa est-elle ainsi devenue la cible des policiers, tout comme le Cagibi ou le Centre culturel du Mile End? Le commandant à la section moralité, alcool et stupéfiants du SPVM, Richard Martineau, est clair: "Si les policiers sont plus présents dans le quartier, c’est parce que nous avons reçu plus de plaintes. Les visites d’agents pour vérifier s’il y a achat de boissons alcoolisées sans qu’il y ait vente de repas se font lorsqu’il y a une plainte. Cette plainte peut venir du public ou d’autres commerçants."
La gentrification du Mile End expliquerait-elle cette hausse de plaintes? "C’est certain que lorsqu’il y a une cohabitation d’endroits licenciés, de condominiums et de résidences, c’est normal que nous recevions plus de plaintes, particulièrement pour le bruit. Mais nous ne sommes pas là pour être sur le dos des propriétaires de bars et de salles de spectacles. Nous sommes là pour la bonne entente et la bonne coopération", se défend Richard Martineau.
Reste donc à Mauro de contester devant la Régie la décision de la police qui s’oppose à ce que la Casa reçoive un permis de bar. "Je comprends le travail des policiers, mais je ne suis pas lié au crime organisé, mes bouteilles ont toujours été légales, il n’y a pas de drogue à la Casa, jamais de motards, de prostitués ou d’insectes dans les bouteilles. Oui, j’ai été illégal pendant neuf ans, mais je suis prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour devenir légal. Si la Régie me donne le permis, je ferai toutes les rénovations prévues par les architectes pour permettre à la Casa d’avoir son permis de spectacles."
Au moment d’écrire ces lignes, Mauro attend toujours que la Régie fixe une date afin d’entendre sa cause.
WIN BUTLER DE LA FORMATION ARCADE FIRE À PROPOS DE LA CASA DEL POPOLO
"Lorsque j’ai quitté le New Hampshire pour m’établir à Montréal, mon rêve était de jouer à la Casa del Popolo. Cette salle fait partie de l’identité culturelle de Montréal. On y présente des concerts avant-gardistes très stimulants. Lorsqu’un quartier se gentrifie, on chasse les artistes pour y accueillir les mieux nantis. Ça arrive dans toutes les villes, c’est inévitable. Mais le reste du Canada, et même le reste du monde, perçoit Montréal comme une ville ouverte. Les élus municipaux devraient le savoir et développer cette facette de notre ville plutôt que de faire l’inverse. C’est une honte."