Le shopdropping : Artefact
Société

Le shopdropping : Artefact

Quatre jeunes artistes importent le shopdropping à Montréal, ou comment introduire l’art en douce au rayon des conserves. Facile, malin et pas cher. Ouvrez l’oeil, ça se passe dans une épicerie près de chez vous…

Jeudi, milieu d’après-midi, Natalie, Marco, Robby et Vanda débarquent dans une épicerie en plein coeur de Montréal. Direction le rayon des boîtes de conserve. Ils sortent de leurs sacs de petits bandeaux de papier sur lesquels ils ont préalablement dessiné, peint ou reproduit une de leurs oeuvres, qu’ils collent sur des boîtes à l’aide de ruban adhésif. En l’espace de quelques minutes apparaissent entre les petits pois et le maïs en crème des personnages ou des tableaux abstraits. C’est design, c’est beau ou c’est drôle, ou les trois à la fois, mais quoi qu’il en soit, c’est immanquable. Le tour est joué.

Le shopdropping, c’est ça, ou encore, comme le définit l’artiste américain Ryan Watkins-Hughes en 2003, le fait d’introduire des marchandises dans un magasin, une sorte de "culture du brouillage", l’inverse du vol à l’étalage. Le mouvement a ses adeptes un peu partout dans le monde, avec plusieurs variantes, l’objectif étant, selon Natalie Reis, d’importer l’art dans des endroits inusités, en l’occurrence à l’épicerie, et pas dans le bus, "parce que tout le monde doit manger". Elle a fondé shopdroppingmontreal.org il y a un an, avec trois autres artistes montréalais. Peintre, graphiste, graffiteur, cinéaste, tous animés par l’envie d’être "dans l’action", hors des circuits traditionnels de diffusion de l’art, et, si possible, auprès d’un public non averti.

Une façon de "réclamer un espace visuel", lance Vanda, un peu à la manière des street graffitis, la spécialité de Robby: "On est ravis à l’idée que des inconnus arrachent nos oeuvres et les rapportent chez eux." Marco n’hésite pas à brandir la carte politique: "Décider de mettre de l’art à la disposition des gens gratuitement, dans un endroit comme celui-là, c’est aussi une façon de souligner les manquements de la bureaucratie canadienne et du système de subventionnement des artistes." Au risque parfois que le message soit mal compris. "On nous a déjà reproché d’avoir couvert des produits qui n’appartenaient pas à une grande marque. Il faut expliquer, et finalement les gens comprennent, que nous ne cherchons pas à dénoncer, mais à apporter un peu de poésie dans un endroit qui n’est pas fait pour ça", explique Natalie.

AUTOPROMOTION

La pratique du shopdropping comme outil de diffusion de l’art n’est pas exactement nouvelle, mais sa portée a déjà été plus subversive. Dans les années 1960, le photographe Robert Heineken recréait en les détournant des images vues dans les magazines, et réinsérait ensuite ses propres images entre les pages des parutions d’origine avant de les replacer dans les présentoirs. Plus explosif, en 2006, l’artiste britannique Barksy soulevait un tollé en remplaçant 500 copies du CD de Paris Hilton par ses propres versions des chansons de la star; avec des titres tels que What I’m For?, on aura saisi le message.

BORDERLINE

Si le shopdropping peut revêtir une forme de "terrorisme acceptable", le pied de nez de quelques anarchistes à la société de consommation, le propos laisse la place cette fois à une démarche purement artistique, dixit les fondateurs de Shopdropping Montreal. Pas de velléité contestataire, mais le simple bonheur de transformer une expérience banale et la plupart du temps ennuyeuse en véritable chasse au trésor. On n’insère plus des boîtes préalablement étiquetées sur les rayons, mais on étiquette les boîtes déjà existantes sur place. Du coup, c’est moins compromettant puisqu’on élimine le danger potentiel que représente l’introduction de produits non identifiés sur les rayons, mais l’action sur place devient une forme d’intervention artistique à part entière. D’autant que tout est filmé caméra à l’épaule, photographié, documenté pour la postérité.

Ironiquement, la démarche des quatre artistes au centre de Shopdropping Montreal leur ouvre les portes de la Biennale de Montréal, qui se déroulera tout au long du mois de mai. À découvrir, donc, avec ou sans panier.

www.shopdroppingmontreal.org
www.biennalemontreal.org