Hervé Kempf : Sortir du gouffre capitaliste
Société

Hervé Kempf : Sortir du gouffre capitaliste

Dans Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Hervé Kempf nous invite à repenser le monde pendant qu’il en est encore temps. Conversation.

Voir: Pensez-vous que les résolutions des pays du G20, à la suite du sommet de la semaine dernière, vont dans la bonne direction?

Hervé Kempf: "Ce sommet a été animé par le souci légitime et nécessaire de sortir de la crise. Mais on a pu constater qu’on ne pose toujours pas les questions de fond que soulèvent les crises économiques mais aussi écologiques que nous traversons. Nous sommes toujours dans une logique de relance d’un système qui ne fonctionne plus. À première vue, donc, j’ai trouvé les mesures adoptées faibles.

En ne remettant pas en cause le rôle du FMI, par exemple, on renforce le rôle d’un des instruments qui, pourtant, a été à la source de cette hyper-libéralisation des marchés dont on connaît les conséquences désastreuses.

De plus, les gouvernements s’engagent dans une nouvelle vague d’endettement. Ce qui est discutable à long terme. Par contre, il a été très intéressant de voir des pays comme l’Inde, le Brésil ou la Chine faire preuve d’un véritable poids à la table de négociation."

Alors que la crise bat son plein au Canada, l’opinion publique délaisse les préoccupations environnementales au profit de l’économie.

"C’est tout à fait légitime que les citoyens se sentent d’abord concernés par la santé de l’économie. Les gens ont peur pour leurs emplois, ils se demandent s’ils vont pouvoir garder leur maison ou envoyer leurs enfants à l’université. Mais c’est une erreur de penser que les problèmes de l’environnement peuvent être mis de côté en attendant que la crise se résorbe. Quoi qu’il arrive, il faut orienter nos systèmes économiques de manière à ce qu’ils soient compatibles avec le contexte écologique. Créer des emplois qui contribueront au surcroît de la production matérielle aura nécessairement un effet négatif sur l’environnement. Il faut donc se distancier de cette obsession matérialiste qui est le propre de nos sociétés."

La nouvelle économie, celle d’Internet et des technologies de l’information, peut-elle offrir une avenue de croissance pour l’économie qui ne résulterait pas en un décuplement des biens matériels: une économie de l’immatériel?

"On dit souvent que la nouvelle économie est immatérielle. C’est faux: nous sommes forcés de changer d’ordinateur régulièrement pour suivre le progrès des logiciels. C’est une industrie qui consomme beaucoup d’énergie: pensez à tous les serveurs qui font tourner le Web. Je ne nie pas qu’Internet soit une vraie conquête. Mais là encore, la solution est de réorienter les objets de consommation qui s’y rattachent. Pour l’instant, l’industrie de l’informatique fonctionne sur des bases industrielles."

Croyez-vous que les entreprises privées soient capables de réaliser le virage vert par elles-mêmes?

"Non, il faut une démarche politique d’abord. Je ne pense pas que la majorité des grosses entreprises puissent se fixer, spontanément, des normes d’émissions ou des standards écologiques efficaces alors qu’elles sont prises dans une logique de recherche rapide de profit. Une régulation au niveau des États est essentielle. La meilleure preuve en ce sens est l’industrie automobile américaine qui, laissée à elle-même, n’a pas évolué dans la bonne direction."

En lisant votre livre, on se sent un peu dépassé par l’étendue du travail à venir. Par où commencer?

"Eh bien, ce que nous faisons en ce moment, discuter des problèmes auxquels nous faisons face, est un début. Il faut, individuellement, que nous adoptions un certain état d’esprit qui nous permettra de changer nos vies, de vivre avec plus de sobriété. Il faut s’inspirer des lieux où les choses changent, et il y en a beaucoup. Il faut surtout que les individus s’engagent politiquement, socialement, sans quoi rien ne changera."

Hervé Kempf donnera une conférence le 14 avril à l’UQAM, à l’amphithéâtre du Coeur des sciences. Renseignements: 514 987-0357

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SORTIR DU CAPITALISME

Après 200 ans d’existence, le capitalisme entre dans une phase dangereuse, meurtrière même, pour la planète comme pour l’humanité. Seul horizon possible, selon Kempf, pour la survie de notre civilisation: changer de système économique. Dans cet essai qui fait suite à Comment les riches détruisent la planète, Kempf, responsable des pages écologie du journal Le Monde, veut nous convaincre qu’un monde nouveau axé sur des responsabilités personnelles accrues et sur un regain des liens sociaux est possible. Encore faudrait-il que, collectivement, nous soyons prêts à laisser le bien commun prévaloir sur le profit. Une nécessité qui, malheureusement aujourd’hui, continue à tenir du voeu pieux. Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, éd. Le Seuil, 2008, 152 p.