La mort de l'info-poubelle : In Web veritas
Société

La mort de l’info-poubelle : In Web veritas

Si trop d’info tue l’info, de plus en plus de médias Web commencent à réviser leur manière de traiter l’actualité, pour revenir à des formats plus "songés". Marre de l’info brute?

La crise aurait-elle des vertus insoupçonnées? Le groupe international Metro, éditeur des journaux gratuits du même nom, annonçait fin avril une chute de ses revenus de 55,6 millions d’euros pour le premier trimestre par rapport à 2008, soit -24 %, et des pertes de 15 millions d’euros. Pas la fin des haricots mais pas de quoi pavoiser non plus, et un sérieux coup de semonce pour les médias d’information tentés depuis plusieurs années de calquer le modèle des gratuits. Dispersée, accessible à la vitesse de l’éclair, la nouvelle brute n’est plus aujourd’hui le nerf de la guerre, et tandis que les grands médias d’information imprimés cherchent le moyen de garder la tête hors de l’eau, sur le Web, on renoue avec le journalisme d’enquête, les formats longs, l’analyse. Un virage à 180 degrés.

"On s’est fourvoyés, moi le premier, lance Jeff Mignon, expert international en stratégie média. Quand on a vu débarquer les gratuits et Internet, on a voulu faire pareil, plaire à tout le monde, aller vers des formats courts. On se trompait. Pour survivre, il faut viser un public plus restreint, se démarquer par un contenu à la fois plus spécifique et plus fouillé." Une info fouillée, c’est ce sur quoi le site français d’information Mediapart a décidé de miser depuis son lancement, en mars 2008. Créé par l’ancien directeur de la rédaction du Monde Edwy Plenel, Mediapart a gonflé dernièrement ses rangs pour consacrer plus de place au journalisme d’enquête. Dans la même veine, le site Slate.fr, dont le grand frère a été racheté par le Washington Post, et qui a été lancé en France par Jean-Marie Colombani et Jacques Attali, d’anciens journalistes du Monde. Et ils ne sont pas les seuls. Aux États-Unis, le site d’info Huffington Post, média d’opinion d’obédience démocrate, lançait fin mars un service entièrement consacré au journalisme d’investigation pour, au dire de sa fondatrice Ariana Huffington, "préserver le rôle indispensable joué par le journalisme de qualité".

C’est le syndrome d’une "destruction créative", terme employé par Sonia Arrison, chercheuse spécialisée en technologies au Pacific Press Institute. Dans son blogue, elle explique comment le passage de l’imprimé au Web constitue l’occasion rêvée de revenir à une information plus dense et plus approfondie. "L’arrêt des activités papier de journaux tels que le Seattle Post-Intelligencer ou le Rocky Mountain News n’empêchera certainement pas l’info de mieux circuler", va-t-elle même jusqu’à écrire. Ce sur quoi la rejoint Florian Sauvageau, journaliste et coauteur du documentaire Derrière la Toile, portant sur le passage des médias de l’imprimé au Web: "Les journaux en difficulté sont ceux dont l’info payante se rapproche beaucoup de celle des gratuits, dit-il, à l’image, dans une certaine mesure, du Journal de Montréal ou, de manière plus évidente, de son corollaire à Ottawa, l’Ottawa Sun."

"Si on ne veut pas tomber dans la news gratuite, il faut aller vers une info d’analyse, de prospective", ajoute Jeff Mignon. La solution se trouverait donc dans l’info de qualité, et la qualité a un prix. Mediapart non seulement relance le journalisme d’enquête, mais propose un nouveau modèle d’affaires, suivant les traces du New York Times, qui a été le premier à lancer un site payant. Ce qui n’a pas manqué de valoir à l’un comme l’autre les sarcasmes des défenseurs de la libre information et le scepticisme de l’industrie. Depuis, d’autres grands médias ont annoncé leur volonté de suivre l’exemple, parmi lesquels L’Express et Le Figaro. "Il y a un public pour une info plus fouillée, note Florian Sauvageau, qui est prêt à payer pour sentir la différence. Aux États-Unis, The Economist, qui affiche un prix de 6,99$ US, a vu son tirage augmenter de 8 %, tandis que le Times ou Newsweek, qui sont quasiment donnés, sont en déclin."

Pondéré, Jeff Mignon se contente quant à lui de constater la tendance de fond: "Il s’agit plus d’une question de type d’article que de longueur. Je ne sais pas si des sites comme Mediapart survivront à long terme, mais ce qui est certain, c’est que le meilleur moyen de s’en sortir est de faire ce qu’on fait déjà le mieux, et non pas de copier ce que font les autres. Développer sa propre voie." Et c’est aussi valable pour le format papier, selon l’expert, qui a notamment revampé le journal Les Affaires il y a deux ans. "Un journal ne devrait pas rester dans le factuel, mais tendre vers l’enquête, la prospective, bref, être tourné vers l’avenir."

www.huffingtonpost.com
www.mediapart.fr
www.slate.com et www.slate.fr (version française)
www.economist.com