La question du droit d'auteur à l'ère numérique : Le pouvoir infini du câble
Société

La question du droit d’auteur à l’ère numérique : Le pouvoir infini du câble

En juin 1999 naissait Napster, le premier service P2P permettant les échanges de fichiers musicaux entre internautes. Dix ans plus tard, cette violation apparente du droit d’auteur cause une scission majeure au sein même du C.A. de l’ADISQ, qui cherche des solutions au problème.

C’était le 21 mai dernier. Dans une lettre adressée à l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), ainsi qu’à 89 acteurs importants du milieu de la musique au Québec, Pierre Marchand de Distribution Select et J. Serge Sasseville du Groupe Archambault ont tous deux démissionné du C.A. de l’ADISQ.

Refusant notre demande d’entrevue, Pierre Marchand nous a fait comprendre que la position de Select et du Groupe Archambault se trouvait dans cette lettre dont Voir a obtenu copie. "(…) les divergences d’intérêts se sont multipliées sur les façons de faire face aux défis posés par la révolution numérique en cours entre, d’une part, les joueurs qui ont bien compris les opportunités qui s’offrent à eux dans la nouvelle économie (…) et, d’autre part, ceux qui, confrontés au changement, préfèrent le protectionnisme qui résulte des mesures mises en place dans un univers protégé qui n’existe plus."

Ces mesures protectionnistes que l’ADISQ défend devant le CRTC consistent notamment à soumettre les radios Web non interactives aux mêmes dispositions réglementaires que les stations de radio traditionnelles, et à ouvrir le dialogue entre les producteurs de contenus culturels et les fournisseurs d’accès Internet qui, selon l’ADISQ, doivent être soumis à des obligations, comme verser à l’industrie du disque une part des profits générés par les frais d’abonnement Internet. Après tout, lorsqu’un internaute cesse d’acheter de la musique et se paye le forfait Vitesse Extrême… Plus de Vidéotron à 79,95 $ par mois, il y a un déséquilibre monétaire qui désavantage les artistes et producteurs.

Pour plusieurs, il est là, le litige entre l’ADISQ et Distribution Select/Groupe Archambault qui, comme Vidéotron, appartiennent à Quebecor. La vision de convergence inhérente à l’empire Péladeau soulève les soupçons. Est-ce que la démission de messieurs Marchand et Sasseville serait liée à Quebecor qui n’a aucune envie de voir Vidéotron obligé de se plier à une réglementation?

Dans sa réponse à la démission de ses membres, aussi adressée aux 89 acteurs de l’industrie, l’ADISQ reste prudente. Elle affirme comprendre la position de ses démissionnaires sans toutefois faire référence au possible conflit d’intérêts entre Select/Groupe Archambault et Vidéotron. Il faut dire que plusieurs de ses adhérents, dont les albums sont distribués par Select, marchent sur des oeufs, alors que l’ADISQ refuse aussi les entrevues à ce sujet.

Musicien, chroniqueur, éditeur et fondateur de la Société pour la promotion de la relève musicale de l’espace francophone, Jean-Robert Bisaillon y voit des enjeux qui dépassent largement le simple C.A. de l’ADISQ. "Réglementer le cadre des échanges non autorisés de fichiers sur Internet et demander aux fournisseurs d’accès de contribuer à la rémunération des ayants droit est un débat qui ne doit pas être tenu dans le seul camp de l’ADISQ, et en lien avec la pertinence ou non de ses membres de maintenir leur affiliation. C’est un dossier qui a une incidence sur l’ensemble de la filiale des ayants droit et qui touche aussi les consommateurs. Tous doivent y participer. Pourquoi ne pas ouvrir un débat public plutôt que de jouer à s’envoyer des lettres méchantes entre deux instances qui, de toute évidence, sont dépassées par la situation et ne sont pas les seules concernées?"

Jean-Robert Bisaillon s’interroge même sur la manière dont le débat a atterri dans les journaux, alors que 89 témoins ont reçu les missives. "L’ADISQ avait beau jeu de répondre à tout le monde, mais je trouve ça extrêmement maladroit de part et d’autre. Ou ils sont naïfs et innocents, ou ça cache autre chose. Dans leur lettre, les maillons de la chaîne Quebecor sont allés jusqu’à remettre en question la pertinence et la pérennité de l’ADISQ. Or, l’Association n’a même pas répliqué à l’attaque. Il faut être assez à-plat-ventriste pour se faire dire qu’on n’a plus d’utilité et ne pas se défendre. C’est particulier."

Mais tout n’est pas noir ou blanc pour l’auteur du livre Le Petit Guide Internet pour les auteurs et compositeurs. Quebecor a beau être une cible facile, il n’a pas le monopole des torts dans cette histoire. "Même si je trouve dommage que l’étiquette Musicor se retire de l’ADISQ avec le départ de Select et Archambault, je comprends certains reproches adressés à l’Association. L’ADISQ joue un rôle de leadership dans l’industrie, un leadership qu’elle assume mal depuis une dizaine d’années. Il y a longtemps qu’elle ne s’est pas remise en question. Je pense entre autres au renouvellement de sa base d’adhérents. L’ADISQ rejoint très mal la relève."

"Il faut aussi se poser une question: qu’est-ce qu’un distributeur fait au C.A. d’une association pour la défense des producteurs? C’est aussi le problème de l’ADISQ auquel elle ne s’est jamais attaquée. Notre industrie du disque est petite, et on se retrouve avec un regroupement qui réunit des producteurs de disques, de spectacles et de vidéos, des gérants, des distributeurs et, pendant longtemps, des éditeurs (jusqu’à ce qu’ils se retirent pour former leur propre association). C’est un mandat de représentation beaucoup trop large. C’est comme ça que l’ADISQ s’est retrouvée avec une négociation au sein même de son conseil."

Et Internet, doit-il rester libre comme le prétendent les entreprises du giron Quebecor? "Vouloir réglementer la radio Web comme la radio hertzienne, c’est manquer complètement le bateau. Par contre, quand Quebecor tient son discours de libéralisation de l’espace numérique, ce n’est pas mieux. Il faut encadrer les échanges de fichiers entre individus. La Loi canadienne sur le droit d’auteur est accusée de laxisme sur ces questions-là. Certains voudraient qu’on la renforce, comme en France, qu’on lui donne des dents et qu’on pénalise les internautes. Ce n’est pas mon cas. Je suis pour de nouveaux mécanismes. Les gens qui ont créé le Web, qui ont inventé les fureteurs nous permettant de naviguer en ligne s’entendent: il y a moyen d’encadrer ça. Ce sont les fournisseurs d’accès comme Quebecor qui prétendent qu’aucune réglementation n’est possible, parce que ça fait leur affaire, parce que, en ce moment, ils s’en mettent plein les poches."