L'Autre St-Jean : Chronique d'une couverture annoncée
Société

L’Autre St-Jean : Chronique d’une couverture annoncée

Cette page frontispice devait être la couverture de l’édition du 18 juin 2009 de Voir Montréal. À la dernière minute, nous avons dû l’annuler, la ressusciter et l’annuler de nouveau. Bienvenue au coeur de la saga de l’Autre St-Jean.

Au départ, le titre devait être accrocheur: "Les anglos vous souhaitent bonne St-Jean". Mais puisque la programmation de l’Autre St-Jean était majoritairement francophone, nous nous étions ravisés. "Francos et anglos s’unissent pour l’Autre St-Jean" était plus juste, plus représentatif de cette célébration de la Fête nationale organisée au parc du Pélican, à Rosemont, le 23 juin.

Le sujet avait séduit la salle de rédaction dès l’instant où le producteur de l’événement et cofondateur de l’étiquette C4, Pierre Thibault, nous l’avait présenté. Non seulement les groupes invités (Malajube, Les Dales Hawerchuk, Bloodshot Bill, Vincent Vallières, Marie-Pierre Arthur et Lake of Stew) étaient en parfait accord avec la ligne éditoriale de Voir, mais la présence d’artistes anglophones – Bloodshot Bill et Lake of Stew – était audacieuse et à l’image de Montréal en 2009.

Rapidement, une séance photo s’organise le jour du dévoilement de la programmation du spectacle, le mercredi 10 juin. Francis Mineau de Malajube, Marie-Pierre Arthur et Bloodshot Bill se prêtent au jeu. Mais, la menace d’une controverse se profile. "Mon gars, ça commence à barder, nous avertit Pierre Thibault au téléphone le jeudi 11 juin. Il semble que Mario Beaulieu (président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et du Comité de la Fête nationale) n’endosse pas la présence d’artistes anglophones à l’Autre St-Jean. Je trouve sa bataille pour le français très noble, mais en même temps, je cherche juste à faire un clin d’oeil aux anglos qui vivent à Montréal. Je crois qu’il est temps de les inclure à notre fête nationale. Si on veut qu’ils se rallient un jour à la cause souverainiste, c’est pas en les boudant chaque 24 juin qu’on va y arriver."

Le son de cloche est identique chez les musiciens interviewés. "Personnellement, je n’ai même pas froncé des sourcils lorsque j’ai vu Bloodshot et Lake of Stew sur l’affiche, commente Francis Mineau. C’est dire à quel point je les considère autant québécois que moi."

Marie-Pierre Arthur: "Je côtoie énormément de musiciens anglophones. Je peux te confirmer que le mélange anglos/francos est possible et souhaitable. Plusieurs d’entre eux sont plus souverainistes qu’on le pense."

"T’es sérieux? Tu crois que ma présence sera mal vue par certains?", s’interroge Bloodshot Bill, ignorant quelle tuile allait lui tomber sur la tête. "Je veux juste fêter avec les Québécois. Je suis bien heureux qu’on m’ait invité."

Le vendredi 12 juin, en avant-midi, deuxième appel affolé de Pierre Thibault: "Ok, là c’est vrai. Ça va mal. Mario Beaulieu soutient que le Mouvement national des Québécois pourrait retirer son appui financier au projet, et la police de Rosemont me demande de revoir mon plan de sécurité à cause de quelques radicaux mécontents. Je capote un peu, mon gars. On pense à retirer Bloodshot et Lake of Stew."

Vendredi en fin de journée, le verdict tombe, tout comme notre page couverture: pas d’anglos à l’Autre St-Jean. Le plan "Oliver Jones" se met en branle à la rédaction (sujet à la une de l’édition du 18 juin de Voir Montréal).

Débute la fin de semaine. Alors que Pierre Thibault quitte Montréal pour pêcher dans le bois, l’histoire est reprise par tous les médias de la ville. Une grande majorité d’éditorialistes prennent position en faveur de l’Autre St-Jean. À son retour dans la métropole, lundi, le producteur croule sous les demandes d’entrevues. Pour une première fois, il sent que l’opinion publique est de son côté.

En matinée, la relationniste de C4, Paule Claveau, nous avertit que les producteurs songent à ramener les anglos. Une décision sera rendue avant la fin de la journée, mais ça regarde bien. Notre page couverture renaît de ses cendres.

Vers 16 h, C4 publie un communiqué expliquant qu’il entend maintenir sa programmation de l’Autre St-Jean intacte, "ce qui signifie 40 minutes de musique en anglais sur un spectacle d’une durée totale de six heures. Nous souhaitons que le rassemblement du 23 juin au parc du Pélican, qui est, selon nous, représentatif du Québec et de Montréal en 2009, soit des plus pacifistes. Une décision finale vous sera communiquée mercredi".

Pour un hebdomadaire publié le jeudi, changer le sujet de sa couverture la veille, disons que ça commence à être limite. À vrai dire, limite en maudit pour le département de production qui doit envoyer le journal chez l’imprimeur le mercredi. Ça sent mauvais.

Joint au téléphone à 18 h lundi, Pierre Thibault ne rassure personne au bureau. "Au point où nous en sommes, que je les retire ou que je les garde, il y aura de la controverse. J’ai rendez-vous demain (mardi) avec le Mouvement national. On va essayer de trouver un compromis. En ce moment, je me dis que l’Autre St-Jean vivra avec les anglos ou ne vivra pas du tout. Je vais être fixé mercredi… peut-être jeudi."

Les carottes étaient cuites. À l’instar de Rémy Girard dans Scoop, on a tué la une.