Simon Brault : Culture élitaire pour tous
Société

Simon Brault : Culture élitaire pour tous

Dans son livre Le Facteur C, Simon Brault, le directeur de l’École nationale de théâtre et fondateur de Culture Montréal, prône le retour à la culture participative à l’échelle locale et démonte du même coup l’illusion du tout Internet. Plus révolutionnaire que ça en a l’air.

Voir: Le Facteur C, c’est à la fois un retour sur la création de Culture Montréal, un pamphlet en faveur des artistes, une réflexion globale sur l’état de la politique culturelle à Montréal. Vous préparez une entrée en politique?

Simon Brault: "Non! Je voulais livrer une réflexion sur l’état de la culture au Québec, et surtout à Montréal. À l’heure actuelle, les politiques culturelles sont réduites à des enjeux économiques, la culture, souvent traitée comme un élément d’attraction pour les villes. Il est primordial de reconsidérer la culture comme un élément de formation, d’un point de vue individuel et collectif. La partie sur Culture Montréal, je l’ai écrite à l’intention des gens plus jeunes et des collègues, qui regrettent le peu d’explications offertes à l’heure actuelle sur les actions concrètes qui changent les villes. Or, à l’origine de Culture Montréal, il y avait cette idée de créer une plateforme citoyenne qui permettrait aux citoyens de devenir acteurs du développement culturel de leur localité. Je fais le parallèle avec les enjeux écologiques: le milieu culturel est très en retard par rapport aux mouvements environnementalistes dans leur compréhension des politiques citoyennes."

Vous prônez la participation comme antidote. Ça sent un peu le déjà-vu, non?

"On a beaucoup pensé que plus on augmenterait la diffusion et la création de la culture, plus on arriverait à la démocratiser. Or, 42 % de la population au Québec a de la difficulté à lire. Il faut donc réfléchir à plus de moyens de renforcer cette participation. Ça passe en partie par l’école, mais aussi par les loisirs culturels. Des grandes villes, comme Lille, en France, ont investi de manière très simple des quartiers défavorisés, utilisé des bâtiments à l’abandon ou les vitrines des boutiques, pour assurer une présence de l’art dans la vie quotidienne des habitants. À Toronto, on a pensé à mettre des sous-titres dans les pièces de théâtre francophones, pour qu’elles soient accessibles à tous. Dans le même temps, au Québec, personne ne travaille à temps plein pour aller chercher un nouveau public. On vend toujours aux mêmes personnes!"

Vous allez jusqu’à qualifier l’élitisme de "repoussoir".

"Je ne crois pas qu’il existe de forme d’art élitiste. Par contre, je me méfie de l’élitisme lorsqu’il s’agit d’une posture idéologique. Le modèle économique de la culture et des arts au Québec est très 19e siècle: être capable de se payer une compagnie de ballet et un orchestre symphonique représente un énorme investissement public et peu de gens vont s’asseoir dans la salle, qui sont en général des privilégiés. On se trouve donc dans un paradoxe: d’un côté une culture d’élite disparaît à cause de la culture commerciale, mais l’élitisme, lui, ne fait que précipiter cette disparition."

À contrario, vouloir démocratiser à tous crins peut mener à une dilution de la qualité, à l’image de ces expositions monstres destinées à faire reluire l’image des grandes villes.

"C’est vrai que dans le cas des expos monstres, la motivation est bien souvent d’abord commerciale, la culture et les oeuvres mêmes devenant des prétextes, et la rencontre entre le visiteur et l’artiste, nulle. Encore une fois, la culture qui a été l’objet de l’élitisme est très valable, mais elle l’est encore plus si elle est accessible au plus grand nombre, pour reprendre l’expression d’Antoine Vitez: "la culture élitaire pour tous". Lorsque l’Orchestre symphonique de Montréal va jouer dans les parcs, les citoyens se sentent bien plus proches de la musique que lors de méga-concerts au centre-ville, avec hélicoptères et tout le toutim."

Et Internet, dans tout ça?

"Les nouvelles technologies agissent en véritable rouleau compresseur. Le bienfait pour la société et les individus ne procède pas de la logique des pourvoyeurs de culture, qui tirent plutôt avantage des politiques culturelles. Les gens d’Apple veulent vendre, ils se foutent de démocratiser la culture. Par ailleurs, parce qu’on a trouvé moyen de tout numériser, on a créé l’illusion de l’accès à la culture. Mais les codes manquent, l’éducation manque, la capacité de discernement manque."

Le Facteur C
de Simon Brault
Éd. Voix Parallèles, 2009, 166 p.