Les Éditeurs québécois et l'effort de guerre, 1940-1948 : Passer le flambeau
Société

Les Éditeurs québécois et l’effort de guerre, 1940-1948 : Passer le flambeau

La Grande Bibliothèque présente Les Éditeurs québécois et l’effort de guerre, 1940-1948, une exposition qui éclaire un pan méconnu de l’histoire de l’édition québécoise. Entretien avec son commissaire, Jacques Michon.

Juin 1940. Les relations commerciales entre le Canada et la France occupée sont interrompues. Entre autres secteurs, celui de l’édition est touché de plein fouet: comment répondre, en effet, aux besoins des libraires et des écoles si les livres d’outre-Atlantique ne sont plus disponibles? S’ouvre alors une période passionnante, durant laquelle les éditeurs montréalais vont prendre le relais de leurs confrères parisiens et, grâce à un arrêté ministériel permettant l’impression au Canada de tous les livres étrangers nécessaires à la population, vont carrément cloner ici, dans un format reproduisant parfois au détail près les jaquettes de la NRF, par exemple, les oeuvres de Louis Aragon ou Antoine de Saint-Exupéry.

Il s’agit là d’un pan de l’histoire éditoriale récente méconnu des Français eux-mêmes, que Jacques Michon explore depuis des années. Ce professeur à l’Université de Sherbrooke, directeur du Groupe de recherche sur l’édition littéraire québécoise (GRELQ) de 1982 à 2006 et auteur d’une Histoire de l’édition littéraire au Québec, nous a parlé en entrevue de la difficulté de fouiller le passé d’un domaine qui, paradoxalement, laisse peu de traces écrites. "Ce n’est pas si loin dans le temps, concède-t-il, une soixantaine d’années ou à peine plus, mais je vous jure que c’est aussi difficile que de fouiller le 19e siècle! Il faut dire que de nombreuses maisons ont fait faillite durant les années 40, certaines, comme les Éditions de L’Arbre, disparaissant avec toute leur documentation! Nous avons donc étudié de très nombreuses lettres, des fonds d’archives d’auteurs… Il y a une vingtaine d’années, j’avais aussi recueilli le témoignage de plusieurs éditeurs de l’époque, dont Lucien Parizeau et Claude Hurtubise."

La partie la plus visible de cette énorme recherche est donc cette expo, Les Éditeurs québécois et l’effort de guerre, 1940-1948, dont la scénographie et le catalogue – absolument superbe – sont signés orangetango. On y trouve quelque 200 artéfacts dans la salle d’exposition principale de la Grande Bibliothèque, publications, photos, témoignages sonores tirés en partie des collections de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). "Ça a été tout un exercice de mise en scène", admet le commissaire, peu habitué des présentations à aussi grand déploiement. "Mais je dois dire qu’il est stimulant pour moi de voir le fruit de ces recherches au départ assez universitaires livré au public dans une forme aussi attrayante."

CHOC DES IDÉES

Le phénomène va évidemment plus loin que le simple coup de pouce éditorial. En plus de jouer le rôle de courroie de transmission pour l’édition française, les éditeurs concernés (L’Arbre, Valiquette, Fides…) contribuent grandement à la diffusion chez nous de textes jusqu’alors introuvables, en plus de profiter de cette période d’activité intense pour donner leur chance à de jeunes écrivains d’ici tels Anne Hébert ou Alain Grandbois. "À partir des années 1930 et, surtout, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, écrit Jacques Michon dans le catalogue de l’exposition, les éditeurs se sont faits pédagogues, promoteurs, accoucheurs de manuscrits, voire provocateurs. Ils ont anticipé les demandes du public, bousculé les idées reçues et ébranlé les colonnes du temple clérical."

Décennie de changement à plus d’un titre, les années 40 apparaissent clairement comme une "première révolution tranquille". "C’est une période d’effervescence intellectuelle, dont l’élan va malheureusement être coupé par les années Duplessis. Mais la flamme continue de couver sous la cendre, et pour moi, il ne fait aucun doute que l’activité de cette période-là est en lien direct avec l’éveil des années 60."

Plusieurs activités sont programmées en marge de cette captivante exposition, à commencer par les visites-conférences en compagnie de Jacques Michon lui-même, les 29 octobre, 26 novembre, 28 janvier et 25 février. L’homme a beaucoup à dire, profitons-en.

Jusqu’au 28 mars 2010
À la Grande Bibliothèque
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