François Bon : L’envers de la ville
L’auteur français François Bon a fait de la Place Bonaventure le théâtre de son dernier récit. Un Montréal souterrain déconnecté et fascinant.
"Centre de congrès dit "Place Bonaventure", en 1967 le plus grand du monde, avec ses 280 000 mètres carrés de bon béton sur dalles, gare non incluse, kilomètres de couloirs, galeries commerciales, hôtel et bureaux." C’est le théâtre de L’Incendie du Hilton, dernier roman du Français François Bon. Une réflexion sur la place du livre dans nos sociétés, et un hommage inattendu au mastodonte qu’est la Place Bonaventure.
Nous sommes le 22 novembre 2008. Alors que le Salon du livre de Montréal bat son plein, un incendie se déclare dans l’immeuble. Les 800 personnes qui logent à l’hôtel, hommes d’affaires, touristes, auteurs invités au Salon du livre, footballeurs professionnels de la coupe Grey, doivent évacuer leurs chambres en pleine nuit. Cette foule disparate se déverse alors dans les couloirs vides de la ville souterraine. François Bon était de ces 800 personnes. "Pour appréhender une ville, il faut en savoir la structure", écrit l’auteur. Cette nuit-là, c’est l’envers de la ville que Bon découvre.
"On est venu au Salon trois jours. Lorsqu’on est arrivé, on nous a dit que nous n’aurions même pas à sortir du complexe, puisque le Hilton est connecté au Salon et aux souterrains. Nous n’avions pas du tout l’impression d’être à Montréal. Et puis, tout d’un coup, on s’est retrouvé dans le ventre de la ville. On n’imagine pas l’envers des villes. C’est quelque chose qui m’a marqué alors qu’on nous ramenait à notre hôtel par les couloirs de service, devant les bureaux, les passages pour les employés. J’ai été impressionné par ces plusieurs niveaux de circulation superposés. Ça m’a fait réfléchir sur la question de la circulation. Les grandes villes nord-américaines ont été construites autour des circulations."
Si les Montréalais tombent rarement en pâmoison devant leur ville souterraine, elle peut se révéler fascinante, voire exotique, pour un Européen. "Pour un Français qui débarque, c’est une exploration fantastique, ça renverse complètement l’idée de la ville. La ville souterraine, c’est un très vieux rêve en Europe. Dans Les Misérables de Victor Hugo, par exemple, Jean Valjean navigue dans des souterrains sous Paris. Le rêve du souterrain est de donner une unité à la ville qui n’en a pas."
Mais le Montréal souterrain que Bon décrit n’est pas celui que l’on connaît: la fourmilière des heures de pointe, les bouches de métro qui y déversent des milliers de gens. "Qu’elles étaient étranges, le soir venu, ces rues sous les buildings: il fallait aller loin pour que la ville redevienne vivante", commente-t-il.
"À deux heures du matin, tout ça paraît vide, nu", nous explique-t-il assis dans la cafétéria à la bibliothèque en papier peint trompe-l’oeil de la Gare centrale. "Ça devient un décor de théâtre idéal pour un écrivain. Ça m’a donné l’occasion de réfléchir aux villes que je connaissais: Paris, New York, Chicago. À comment on prend ses repères dans une ville qu’on ne connaît pas. Donc, ce Montréal souterrain, déconnecté, m’a servi d’établi. Maintenant que je connais cette ville et ses habitants, sa vie le jour, je ne pourrai plus écrire de la même manière sur elle."
L’Incendie du Hilton
de François Bon
Éd. Albin Michel, 2009, 192 p.