Gwynne Dyer : Éviter la guerre verte
Société

Gwynne Dyer : Éviter la guerre verte

Si la conférence de Copenhague consacrée au réchauffement climatique s’avère un échec, notre planète sera embrasée par une kyrielle de conflits armés dévastateurs, prédit dans un essai coup-de-poing Gwynne Dyer, grand spécialiste canadien des questions militaires. Terrifiant!

Voir: La conférence de Copenhague sur le changement climatique débouchera-t-elle sur des résolutions unanimes et concrètes?

Gwynne Dyer: "Il y a peu de chances que la conférence de Copenhague conclue ses travaux en adoptant des résolutions concrètes susceptibles d’être mises en oeuvre à court terme. Ne soyons pas dupes! Les États-Unis, qui, comme d’habitude, doivent indiquer et "éclairer" la voie aux autres nations du monde, ne sont pas encore prêts pour présenter un plan officiel détaillé et chiffré de réduction de leurs gaz à effet de serre pour les 20 prochaines années."

Donc, pour que les choses bougent, il faut que les États-Unis bougent.

"Pour que les États-Unis mettent en branle un ambitieux plan de lutte pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, il faudra préalablement que le Congrès américain entérine et promulgue une loi de réduction des CO2. Pour l’instant, Barack Obama mène une autre bataille homérique auprès des membres du Congrès: les convaincre de voter en faveur de son projet de réforme du système de santé américain. Donc, à la conférence de Copenhague, on aura, au mieux, des déclarations de principe des nations les plus polluantes de la planète: les États-Unis, la Chine, l’Inde… Il ne faut pas s’attendre à des résultats spectaculaires."

Vous êtes assez pessimiste?

"La seule solution pour contrer ce sinistre fléau qu’est le réchauffement climatique est de "décarbonner" systématiquement et massivement nos économies. Si nous ne parvenons pas à supprimer totalement les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2050 – ou, mieux, à les réduire de 80 % d’ici à 2030 -, la seconde moitié de ce siècle sera synonyme de catastrophes écologiques. Il est irréaliste de croire que nous serons capables de respecter cette échéance fatidique. Si la communauté internationale avait pris le changement climatique au sérieux il y a 15 ans, voire 10 ans seulement, elle aurait peut-être eu une chance de réussir. Mais je crois qu’il est trop tard aujourd’hui. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre augmentaient d’environ 1 % par an au moment où le premier traité international sur le changement climatique a été signé, en 1992. Désormais, la hausse est de 3 % par an, et la majeure partie de l’Asie, où vit la moitié de l’humanité, est en voie de devenir une méga-société de consommation industrialisée. Afin de maintenir la température moyenne globale à un niveau suffisamment bas pour éviter des effets de rétroaction franchement déplaisants, il faudrait que les émissions de gaz à effet de serre diminuent de 4 % maintenant. C’est un objectif utopique!"

Le Canada parviendra-t-il à tirer son épingle du jeu à la conférence de Copenhague?

"Dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique, le Canada sous la gouverne de Stephen Harper est malheureusement devenu l’État le plus voyou des nations occidentales. Aujourd’hui, quand on aborde la question épineuse du climat, le Canada est la risée de toute la communauté internationale. Stephen Harper se soucie comme d’une guigne du soi-disant objectif que le Canada s’est fixé au début des années 90 pour juguler ses émissions de CO2: 3 %. Un objectif qui n’a toujours pas été atteint. Il y a quelques jours, le grand quotidien britannique The Guardian a critiqué avec véhémence la politique pusillanime et totalement incongrue du Canada au chapitre du réchauffement climatique. Les exploitants des sables bitumineux de l’Alberta, qui bénéficient du soutien inconditionnel de Stephen Harper, ont été fustigés avec véhémence par ce périodique. À la conférence de Copenhague, le Canada ne fera que du surplace."

Selon vous, si nous ne faisons rien pour contrer le réchauffement climatique, de multiples guerres nous menacent.

"Pour écrire ce livre, j’ai parcouru une dizaine de pays afin d’interviewer des chercheurs scientifiques, des militaires, des administrateurs et des hommes politiques plongés quotidiennement dans les questions relatives au réchauffement climatique. J’ai constaté que dans un certain nombre de pays occidentaux, notamment aux États-Unis, les scénarios de changement climatique jouent déjà un rôle prépondérant dans les processus de planification militaire. Certains scénarios – que j’explicite avec moult détails dans mon livre – concoctés par les états-majors militaires de ces grandes puissances sont très troublants. Il suffirait que la température s’élève de deux à trois degrés Celsius pour qu’il y ait risque de guerres, et même de guerres nucléaires."

Vous prédisez des guerres entre des pays aux prises avec la sécheresse des terres.

"Tous les experts sont unanimes sur cette grave question: le réchauffement planétaire engendrera de grands cataclysmes naturels. Le cycle de l’eau sera profondément bouleversé, ce qui provoquera: sécheresses; incendies; extension des déserts; inondations; montée des eaux, accentuée par la fonte des grands glaciers; engloutissement de vastes territoires… La première conséquence, la plus importante de surcroît, du changement climatique sur la civilisation humaine sera une crise alimentaire aiguë et permanente. À cause de la raréfaction des terres arables, la production agricole périclitera. Ce qui aura pour conséquence de mettre en péril la sécurité alimentaire mondiale. Des pays s’affronteront alors militairement pour contrôler des terres, des points d’eau, des sources d’énergie, des stocks de nourriture…"

Alerte. Changement climatique: la menace de guerre. Copenhague, la dernière chance pour sauver la planète
de Gwynne Dyer
Éd. Robert Laffont, 2009, 319 p.