Mouvement Art Public : Sur le MAP
Convertir les espaces d’affichage publicitaire en terrains de diffusion pour les arts visuels: partant de ce principe, le groupe Mouvement Art Public transforme Montréal en galerie à aire ouverte. Mexico adhère. Les autres villes canadiennes emboîtent le pas.
On ne regarde plus ses pieds en traversant la place Émilie-Gamelin. Le lieu de passage ultra-fréquenté vers le métro Berri-UQAM a maintenant ses flâneurs. On ralentit, le temps de regarder les oeuvres photographiques exposées sur de grands panneaux plantés là pour rester. "On change la notion de temps, donc le rapport à la ville", dira Christian Barré, membre fondateur du Mouvement Art Public (avec Manuel Bujold et Claude Marrié), quand on lui demande quel est l’impact de la démarche qui a mené à l’installation de cet espace d’exposition permanente en plein centre-ville.
Ralentir, donc. Et diffuser. En l’espace de quatre ans, le MAP a investi l’espace public montréalais en recyclant les panneaux d’affichage laissés vacants, travaillé avec la Société de développement du boulevard Saint-Laurent, le Quartier des spectacles, la STM et la SAT. On a vu, ravis, fleurir l’art sur les abribus, dans les couloirs du métro, dans la rue et les vitrines des commerçants. En lieu et place de messages bêtifiants, les photographies hallucinantes de Julia Fullerton-Batten ou les mangas surréalistes de Cao Fei. L’idée du MAP, brillante: "un organisme à but non lucratif voué à la promotion de la culture actuelle par les mêmes moyens de masse que la publicité". On vole donc aux uns pour donner aux autres? Pas vraiment: lesdits panneaux ne servent de toute façon à rien, les entreprises d’affichage les prêtent donc de bon gré. Du "goodwill marketing", dixit Christian qui en connaît un rayon puisqu’il a lui-même travaillé dans le milieu publicitaire: "Les compagnies embarquent pour le capital image." CBS, en tout cas.
Marketing culturel?
Le succès de la formule: une question de "momentum", selon Christian: "Les politiques sur l’espace public se développent en ce moment", ajoute-t-il, tout juste revenu d’un "visionning" organisé à Ottawa par la Commission de la capitale nationale. Présents à la rencontre: la direction du Conseil des Arts du Canada, le commissaire du Musée des beaux-arts du Canada et les représentants des villes de Calgary, Vancouver, Toronto et Québec. Tous venus pour réfléchir à la meilleure façon de développer leurs politiques sur l’espace public. "Ils sont prêts pour nous à Québec", confie Christian. Sur le site Internet, on promet aussi Vancouver, Ottawa, Toronto, St. John’s et même Halifax. Mexico est déjà partie prenante: le groupe a installé sa première "franchise", avec une responsable, Naomi Palovitz.
Car l’ambition est là de voir la petite entreprise prendre un essor international. "Nous ne sommes pas un centre d’artistes. Notre modèle économique est le Cirque du Soleil. Nous voudrions faire des petits, implanter des franchises un peu partout." En attendant les millions, les discussions vont bon train en Europe avec l’un des leaders de l’affichage, et on espère le Brésil: "Ils ont voté, il y a deux ans à São Paulo, une loi interdisant la publicité sur les panneaux d’affichage. Résultat: les compagnies propriétaires des panneaux ont foutu le camp en les laissant sur place!" Un potentiel extraordinaire pour le MAP, qui se défend de faire du marketing culturel: "Ce n’est pas ça que nous voulons, mais c’est vrai que la tendance est à la course vers la créativité culturelle du côté des villes, qui ont réalisé le poids de la culture dans leur développement, à la faveur de penseurs comme Richard Florida."
Du coup, on interroge un peu les limites du projet: pas vraiment militant, à l’inverse de groupes comme Material dans les années 80 à New York, et pas producteur de nouvelles oeuvres non plus. "Pas encore", précise Christian, franchement agacé quand on lui parle de l’ambiguïté de la démarche: "Nous comptons bien pouvoir jouer les commissaires et lancer de véritables expos ambulantes, qui passeraient de Montréal à Québec, de Québec à Mexico et de Mexico à Québec, le but étant de permettre aux artistes locaux de rencontrer leur public et d’avoir la chance de s’exporter."
À découvrir en ce moment un peu partout en ville et au parc Émilie-Gamelin, la nouvelle expo MAP: La vie est un sport extrême!, qui réunit 34 oeuvres photographiques de 6 artistes de grande renommée en provenance du Canada: Lynne Cohen et Alana Riley; de la Chine: Li Wei; des États-Unis: Olaf Breuning; d’Israël: Nadav Kander; et de France: Denis Darzacq.
www.mouvementartpublic.com