Joseph Facal : Espoirs et alarmes
Société

Joseph Facal : Espoirs et alarmes

Dans Quelque chose comme un grand peuple, l’universitaire et ancien ministre péquiste Joseph Facal exhorte les Québécois à ne pas transformer leur fierté légitime en un repli timoré sur des positions sans avenir. Entretien avec un souverainiste iconoclaste.

Voir: Ce livre est un cri d’alarme?

Joseph Facal: "Oui. Ce livre est un cri d’alarme, mais aussi un message d’espoir et, jusqu’à un certain point, un mode d’emploi. C’est un cri d’alarme parce que j’essaye de montrer que le peuple québécois est engagé dans une spirale de déclin qui ira en s’accélérant si un redressement collectif ne survient pas rapidement. C’est aussi un message d’espoir. Je montre que les Québécois ont des atouts considérables et rappelle que d’autres peuples sont aussi aux prises avec les mêmes difficultés que nous. C’est enfin un mode d’emploi dans la mesure où sans prétendre tout couvrir, ce qui aurait été impossible, j’indique les chantiers qui me semblent prioritaires et les actions qu’il faut incessamment entreprendre. Il m’est apparu aussi qu’il était important de tordre le cou à certaines faussetés, demi-vérités et idées reçues qui ont pignon sur rue aujourd’hui au Québec."

Vous êtes très critique à l’endroit des ténors du projet souverainiste.

"Un des grands problèmes des souverainistes, c’est qu’au moindre piétinement de leur projet national, ils se sentent obligés de tout réinventer. Or, fondamentalement, ici comme ailleurs, aujourd’hui comme hier, les raisons fondamentales pour lesquelles les peuples aspirent à avoir leur propre pays sont des raisons qui ne sont pas une affaire de mode. Le désir d’être pleinement responsables, indépendants plutôt que dépendants, et le besoin de prendre soi-même ses propres décisions, même si c’est plus difficile et plus engageant, ce n’est pas une affaire de saison, de mode, de saveur du mois… Le projet souverainiste ne doit pas être complètement chamboulé chaque fois qu’il monte ou baisse de trois points dans les sondages."

Vous reconnaissez qu’"en dépit de toutes ses tribulations, le Québec a progressé au sein du Canada". Ce constat ulcérera probablement les souverainistes.

"Je n’invente rien. René Lévesque lui-même disait que le Canada n’est pas le goulag soviétique. C’est justement parce que le Québec ne vit pas une situation d’oppression caractérisée que la souveraineté apparaît aux yeux de beaucoup de Québécois comme une option parmi d’autres et pas comme une exigence essentielle. Par ailleurs, le fait que le Québec ne soit pas encore souverain ne nous dispense pas de mieux utiliser des pouvoirs que nous avons déjà. Mais je continue à penser qu’avoir la totalité des pouvoirs est préférable à avoir la moitié des pouvoirs."

Vos réflexions sur la commission Bouchard-Taylor sont décapantes.

"Tout le rapport final de cette commission se lit subtilement comme une sorte de mise en accusation d’une majorité, en l’occurrence les francophones, coupable d’être comme elle est. On reproche sévèrement à la majorité francophone de ne pas être suffisamment ouverte à l’endroit des minorités culturelles et des nouveaux immigrants. Ce qui frappe à la lecture de ce rapport, c’est qu’il repose sur ce que j’appellerais une inversion du devoir d’intégration. Je m’explique. Depuis la nuit des temps, chaque fois que quelqu’un quitte un pays pour s’établir ailleurs, il va de soi que c’est à celui qui arrive dans une nouvelle contrée de faire le gros du chemin pour adopter, au moins en partie, les valeurs et les moeurs du peuple qui l’accueille. À lire le rapport final de la commission Bouchard-Taylor, on a au contraire l’impression que c’est à la majorité historique du Québec de s’effacer pour que les nouveaux arrivants puissent s’affirmer. Ça me pose un problème."

Quel est le plus grand défi auquel les Québécois sont aujourd’hui confrontés?

"La question fondamentale est de savoir si le peuple québécois est capable d’encaisser la vérité et d’y faire face. Nos concitoyens disent toujours qu’ils veulent entendre de la part de leurs leaders la vérité. Or, la vérité, si on regarde attentivement les chiffres, est très inquiétante. Est-ce que les Québécois sont capables de l’apprendre, de retrousser leurs manches et de réagir ou préféreront-ils entendre de la musique d’ascenseur qui va les endormir?

Ce qui revient évidemment à repousser les problèmes en avant et à les laisser s’aggraver."

Quelque chose comme un grand peuple
de Joseph Facal
Éditions du Boréal, 2010, 319 p.