Antoine Vitkine : Plus ça change…
Bréviaire de la haine nazie, Mein Kampf est aujourd’hui un best-seller planétaire. Ce manifeste nationaliste et férocement antisémite reste d’une actualité brûlante en ce début du 21e siècle, rappelle le journaliste Antoine Vitkine dans un livre-enquête passionnant, très troublant.
Voir: L’intérêt pour Mein Kampf ne se dément pas?
Antoine Vitkine: "Mein Kampf est aujourd’hui publié et vendu dans le monde entier, sous des formes intégrales ou abrégées. À l’échelle mondiale, si l’on cumule les chiffres des ventes, ce plaidoyer de l’extrémisme nazi fait figure de véritable best-seller. Sur le site américain d’Amazon, Mein Kampf est l’un des livres les plus commentés par les lecteurs. Le phénomène Mein Kampf est arrivé jusqu’en Mongolie, petit pays de 2,8 millions d’habitants, qui n’a pas d’histoire commune avec la vieille Europe. Dans les pays occidentaux, l’intérêt pour Mein Kampf ne cesse aussi de croître. En Allemagne, ce livre qui n’avait jamais été republié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale tombera dans le domaine public en 2015. Les Allemands pourront alors acheter en toute liberté dans les librairies une nouvelle édition de ce livre en langue allemande."
Comment expliquer la popularité de Mein Kampf dans des pays aussi divers que l’Inde, la Russie, l’Argentine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie…?
"L’une des idées universelles, intemporelles, que véhicule Mein Kampf est l’ultranationalisme. Un ultranationalisme dont les principes sont l’unité – mythique – du peuple et du corps social, la pureté ethnique, l’exclusion de l’autre – l’étranger, le minoritaire, le rival -, la glorification et la puissance. Hitler évoque dans ce livre la revanche future contre les humiliations militaires ou géopolitiques, tout en développant une paranoïa à l’égard du monde environnant décadent ayant perdu ses valeurs. Quiconque se reconnaît dans ces idées peut, comme les tenants indiens ou russes d’un ultranationalisme échevelé, trouver dans Mein Kampf un bréviaire utile."
En Turquie, le pays musulman le plus laïque, Mein Kampf fait un tabac.
"Oui, depuis plusieurs années, la Turquie est le pays où Mein Kampf se vend le mieux au monde. Récemment, deux nouvelles éditions se sont écoulées en quelques mois à 80 000 exemplaires. C’est énorme. Selon le décompte effectué par un chercheur de l’université d’Istanbul, Rifaat Bali, pas moins de 30 éditions différentes ont été publiées entre 1939 et 2000. Mein Kampf figure aujourd’hui au catalogue de 11 éditeurs turcs. Cet engouement des Turcs pour le bréviaire antisémite d’Hitler a une explication. En Turquie, comme dans la majorité des pays musulmans, antiaméricanisme, antisionisme radical et antisémitisme vont de pair. Ainsi, les attaques véhémentes contre l’Amérique se terminent souvent par la dénonciation du "complot sioniste". L’image d’une Amérique entièrement soumise aux Juifs, bras armé des Juifs et d’Israël, ne date pas d’hier. La Turquie est également sensible à une des principales thèses de Mein Kampf: le mythe d’un complot contre le pays. Un complot intérieur, que l’on impute à la minorité kurde – voire arménienne, grecque ou juive -, aux chrétiens, aux missionnaires évangélistes… et un complot extérieur, fomenté par l’Amérique avec l’appui inconditionnel d’Israël.
Vous rappelez dans votre livre que les islamistes ne sont pas de grands adeptes de Mein Kampf. Un constat surprenant.
"Pour les islamistes, très soucieux de l’orthodoxie de leurs références idéologiques, se méfiant de tout ce qui échappe au cadre strict de l’univers islamique, moins perméables donc aux influences extérieures que les nationalistes arabes, Mein Kampf reste un livre extrêmement marginal. Le corpus idéologique des islamistes est déjà constitué, il est très fort. Ces derniers n’ont pas besoin d’autres textes de référence pour justifier leurs idées, leurs politiques, voire leurs attentats terroristes. L’obsession des islamistes, c’est la légitimité de leurs références. C’est pour cela qu’ils s’appuient uniquement sur le Coran, qui, à leurs yeux, est le texte légitime par excellence. Cependant, comme Hitler, les idéologues nationalistes arabes et les hérauts de l’islamisme se réclament aussi des Protocoles des sages de Sion, un faux document concocté de toutes pièces au 18e siècle par la police du tsar de Russie. S’appuyant sur ces Protocoles antisémites, les Chartes du Hamas et des Frères musulmans dénoncent "une conspiration juive pour ébranler les sociétés, détruire les valeurs, corrompre les consciences, détériorer le caractère de l’islam et l’annihiler"."
Dans les milieux scolaires, Mein Kampf est-il un atout pédagogique?
"Oui. Aujourd’hui, les néonazis ressassent l’argument invoqué dans les années 40 par Hitler et ses séides pour attaquer les pays européens et persécuter les juifs, à savoir que l’Allemagne devait se défendre car elle était victime d’un complot sciemment planifié par les juifs et leurs alliés occidentaux. Or, Mein Kampf met en charpie cette thèse fallacieuse. Les idées raciales, antisémites et belliqueuses étayées par Hitler dans ce pavé nationaliste furent écrites en 1923, bien avant l’arrivée des nazis au pouvoir. Ce livre prouve donc qu’Hitler avait dès le début des desseins macabres et diaboliques. Pour les nouvelles générations, Mein Kampf est un outil pédagogique de compréhension et de réflexion, très utile pour éviter que l’histoire ne se répète."
Mein Kampf. Histoire d’un livre
d’Antoine Vitkine
Éd. Flammarion, 2009, 310 p.