Marie Hazan : Les boys

Voir: Comment définiriez-vous l’identité masculine dans le Québec d’aujourd’hui?

Marie Hazan: "Au Québec, l’identité masculine revêt deux dimensions antinomiques: l’une est positive, l’autre est négative. La dimension positive: aujourd’hui, la majorité des hommes québécois sont modernes, ouverts et tendres avec leur conjointe. Ils ne sont plus machos ni dominateurs. Ils sont devenus politiquement corrects. Ils aident aux travaux ménagers – même si les femmes en font plus -, assument leur paternité. La dimension négative: depuis les années 80, plus qu’ailleurs, des hommes québécois – ils sont une minorité – revendiquent une parole propre et sont dans une quête identitaire permanente. Ils accusent les femmes d’être des "dominatrices implacables" et ne cessent de se plaindre d’elles. Ils disent qu’ils sont "soumis à un matriarcat oppressant". Ils veulent tuer leur mère – c’est le thème qu’aborde avec brio Xavier Dolan dans son film J’ai tué ma mère – et fustigent un père dit "absent", qui ne leur donne pas une bonne et belle image masculine à laquelle s’identifier."

La culture influence-t-elle l’identité masculine des Québécois?

"Oui, le facteur culturel est fondamental. Les différences culturelles créent actuellement un choc et ont une incidence sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais, pour l’instant, cette épineuse question est spécifique aux hommes québécois francophones "pure laine"".

Comment les Anglophones perçoivent-ils cette spécificité identitaire masculine des Québécois francophones?

"Les Québécois et les Canadiens anglophones ne voient pas cette problématique de la même façon. Ils ont d’autres modèles de référence. Les questions sur la condition masculine des Québécois francophones, c’est-à-dire la manière dont ces derniers se perçoivent dans leurs rapports avec les femmes, dans leur couple, dans leur famille, laissent aussi interloqués les Français et les Européens. De l’autre côté de l’Atlantique, le monde patriarcal d’antan est un peu secoué, mais l’ancien modèle, malgré les apparences, demeure solidement ancré."

Selon vous, il faut absolument prendre en compte la dimension historique quand on "psychanalyse" l’identité masculine des Québécois francophones.

"Absolument. Des pans majeurs de l’histoire contemporaine du Québec nous aident à comprendre la spécificité de l’identité et de la condition masculines dans le Québec de 2010. Beaucoup d’hommes québécois, notamment ceux âgés de 50 ans et plus, ont le sentiment d’être colonisés. Cette idée très tenace que l’homme québécois a toujours été dominé par les Anglais, les curés, a toujours pignon sur rue. Cette représentation socio-historique, fortement ancrée dans la psyché de beaucoup de Québécois sexagénaires, continue de nourrir les mythes de "la femme dominante" et de "la fin du patriarcat" dans la société québécoise. Mais politiquement, ces Québécois francophones qui se considèrent comme des "colonisés" ne sont pas nécessairement des souverainistes invétérés."

Aujourd’hui, au Québec, les rapports entre les hommes et les femmes sont-ils plus égalitaires?

"Oui, désormais, ces rapports sont plus égalitaires et plus harmonieux. Les hommes québécois sont plus enclins à renoncer à leurs privilèges d’antan. Ils ne jettent plus le bébé avec l’eau du bain et ne sont plus déstabilisés par une vaisselle, une lessive ou un changement de couche de bébé. Cependant, la violence contre les femmes est toujours une réalité sociale funeste et l’homophobie demeure un symptôme très alarmant du recours à cette identité "virile" défendue dans le rejet du féminin et de la différence."

Le Masculin. Psychanalyse des représentations des hommes au Québec
de Marie Hazan
Éd. Quebecor, coll. "Psychologie", 2010, 160 p.

L’homme québécois sur le sofa

Dans un essai iconoclaste, Marie Hazan "psychanalyse" l’identité masculine au Québec en revisitant des épisodes majeurs de l’histoire contemporaine du Québec – notamment les années de grande noirceur de l’ère Duplessis et la révolution tranquille – et des mythes fondateurs de la culture québécoise – par exemple le mythe, selon elle "très puissant", du "matriarcat québécois". L’auteure décrypte les rôles sociaux et familiaux assumés désormais par les hommes québécois à l’aide d’exemples de "comportements masculins" de figures marquantes de la Bible – Abel et Caïn… -, de la mythologie grecque – le complexe d’OEdipe… -, de films québécois – De père en fils, Les Grandes Chaleurs. D’après elle, les hommes québécois seraient pris en tenailles entre deux scénarios, d’une part, la modernité et l’égalité et, d’autre part, l’affirmation d’une identité masculine revigorée souvent par la crainte de la domination féminine.