Michel Chartrand : Un extraordinaire homme ordinaire
Société

Michel Chartrand : Un extraordinaire homme ordinaire

Katerine Deslauriers, professeure de philosophie et petite-fille de Michel Chartrand, rend hommage à cet homme qui a vécu en adéquation avec ses valeurs.

À l’annonce de sa mort, les hommages à Michel Chartrand sont nombreux. Qu’est-ce qui rend cet homme grand? Pour cerner son apport, on le qualifie de tous les attributs: rebelle, libre-penseur, colérique, indépendantiste, buté, utopiste, généreux, passionné, engagé, etc. On rappelle son franc-parler, ses contestations et oppositions, certains discours "punchés". Au-delà des clichés journalistiques, des faits de surface, on s’entend pour dire que ses actions de syndicaliste et ses paroles auront laissé un héritage pour le Québec et ses citoyens. Qu’a de si extraordinaire cet homme ordinaire? Il vous dirait avec humour qu’il avait un don car il était né le 7e garçon et le 13e enfant d’une famille de 14. Questionné davantage, il vous aurait fait un clin d’oeil et, sur le ton de la confidence, vous aurait dit qu’il remerciait Dieu de l’avoir fait si beau lorsqu’il se regarde dans le miroir. Puis, grave, vous regardant droit dans les yeux, il aurait répondu modestement qu’il a vécu selon ses valeurs. Tout simplement.

Vivre, selon Michel, c’est aimer la nature et s’engager comme citoyen, aider son prochain et vouloir construire une société meilleure. Pas besoin d’être extraordinaire pour cela, dirait-il, vivre est donné à tous les êtres humains dès leur naissance. Si la plupart des hommes connaissent une vie modeste, chez lui, la vie privée est mêlée à la vie publique. L’homme ordinaire à la personnalité extraordinaire. L’individu au corps social. Nous avons donc plusieurs raisons de rendre hommage à cet homme.

Est-il pour autant un exemple à suivre? Michel aimait la vie et l’Humanité. Il a enseigné et incarné les valeurs et idéaux de justice, de compassion, de liberté qu’il chérissait. Comme petite-fille, ce n’est pas le syndicaliste que je retiens, mais l’homme, le "grand-papa-réglisse-rouge" qui nous enseignait les plaisirs gastronomiques, nous chatouillait aux larmes, nous montrait la beauté de la nature. Bon vivant, Michel nous disait que la politique s’apprenait à la maison, à table, dans l’expression de ses idées toujours avec écoute et respect de la parole d’autrui. Idéaliste d’action, il a défié la tempête de la justice sociale et les inerties de la société. Il avait aussi la sagesse de savoir se reposer, pour conserver son équilibre, et le nôtre, sur ses genoux. En lisant de la poésie, en écoutant de la musique et en savourant ses fameux cigares, il nous a communiqué son très profond amour de l’art et grand respect des artisans. La volonté de transmettre l’histoire de notre culture par le biais des artistes, à la fois créateurs opprimés et libres-penseurs, m’a inspiré un cours sur l’art public au Québec, donné à son alma mater. Ai-je ainsi suivi son exemple en devenant professeure, en étudiant l’esthétique et en aidant autrui?

Entier, c’est la constance à incarner ses valeurs et sa foi inébranlable en l’Humanité qui rendent Michel Chartrand remarquable. Il savait lutter pour ce qui peut changer: l’ignorance et les affaires humaines. Fougueux, le fondement moral de ses actions l’a enraciné, sa juste colère aura été sa sève, et les rencontres, ses oeuvres. Ce que Michel était, c’est ce que nous devons tous devenir: un être de paroles et d’actions. Et c’est en cela qu’il est remarquable.

"La critique peut être désagréable, mais elle est nécessaire. Elle est comme la douleur pour le corps humain: elle attire l’attention sur ce qui ne va pas."

– Winston Churchill