Riccardo Petrella : L'eau n'est pas d'or
Société

Riccardo Petrella : L’eau n’est pas d’or

Conférencier invité au Sommet du millénaire, l’économiste et politologue Riccardo Petrella dresse un bilan franchement mauvais des actions gouvernementales pour l’accès à l’eau. Le secrétaire général du Comité international pour un contrat mondial de l’eau va jusqu’à parler d’abdication.

Voir: Pour ce qui est de la question de l’accès à l’eau pour tous, nous avons baissé les bras. C’est le message que vous comptez faire passer lors de votre conférence à Montréal?

Riccardo Petrella: "Nous acceptons que l’eau se raréfie et que cette raréfaction soit le résultat des actions humaines. Nous acceptons que des milliers de gens n’aient pas accès à l’eau potable. On sait qu’il suffirait de 30 milliards de dollars pour donner à tout le monde une toilette publique. On n’a jamais trouvé cette somme. Le fait qu’on n’octroie pas ce droit à tous est voulu. C’est une abdication."

Vous dénoncez depuis des années la privatisation de l’eau. On sait aujourd’hui que son exploitation est très rentable.

"La banque suisse Pictet fête en grande pompe les 10 ans de ses fonds de placement spécialisés en eau. Ces fonds d’investissement spéculatifs représentent plus de 10 milliards de dollars. C’est la somme que les épargnants sont disposés à investir dans les sociétés privées dans le domaine de l’eau. Les postes en France et en Belgique ont créé des comptes d’épargne bleus, axés sur les entreprises privées qui opèrent dans le domaine de l’eau. Elles font beaucoup de profit. Nos sociétés au 20e siècle ont développé au maximum l’idée qu’on pouvait être propriétaire à titre privé de toute forme d’expression de la vie. C’était déjà le cas pour le pétrole, le droit de propriété intellectuelle, les symboles, les sols urbains. L’eau est avec l’air la dernière plage de cette monétarisation. Même s’il est correct de dire que l’eau a un prix, lorsqu’on étend le concept aux usages de l’eau qui sont essentiels à la vie, on touche au champ des droits humains."

Vous n’êtes pas plus indulgent sur la question de l’hydro-électricité.

"L’eau n’est pas faite pour produire de l’énergie dans la mesure où le maintien des flux des centrales hydro-électriques signifie perdre les fleuves et les rivières comme source de vie permanente. Une étude internationale montre, à partir de l’analyse de 79 grands barrages, que le bilan négatif en termes économiques et environnementaux est de loin supérieur aux aspects positifs, que ce soit pour les investisseurs ou les consommateurs."

Le dernier bilan de l’ONU quant aux Objectifs du millénaire est on ne peut plus mitigé. Vous restez quand même optimiste?

"Dès 1995, lorsque les Objectifs du millénaire ont été approuvés à Copenhague, j’avais dénoncé leur insuffisance et l’incapacité pratique des mesures proposées. Je ne suis donc pas étonné que la date butoir pour certains objectifs ait été repoussée à 2022. La solution n’est pas la prise de conscience des puissants, l’Histoire nous l’a assez montré, c’est la mobilisation citoyenne, y compris les actions sur Internet. Je suis convaincu que c’est la seule manière de parvenir à réaliser ces objectifs, au-delà des expertises et, bien entendu, de la question d’une fiscalité mondiale. Je viens au Sommet du millénaire dans l’espoir que ses promoteurs s’inscrivent dans cette logique."