Guy Berthiaume et Bibliothèque et Archives nationales du Québec : Espace commun
Arrivé sur la pointe des pieds en juin dernier à la tête de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Guy Berthiaume n’est pas à court d’idées. À l’occasion des cinq ans de l’institution, l’historien de formation nous cause démocratisation de la culture, enjeu du numérique et bibliothèques pour ados.
Voir: On ne vous a pas entendu arriver l’année dernière…
Guy Berthiaume: "Je venais d’un milieu universitaire, je souhaitais me donner le temps de prendre le pouls de cette institution, dont la Grande Bibliothèque n’est que la partie visible: être PDG de BAnQ inclut aussi les archives, et donc un mandat de conservateur, qu’il s’agisse d’estampes, d’affiches de spectacles, de films, de musique. Nous fédérons neuf centres d’archives au Québec, dont je tenais à faire le tour, à rencontrer les responsables, à parler aux élus locaux. C’est unique au Canada, cette forme de décentralisation: les archives du Canada, elles, sont centralisées à Ottawa."
La question de la centralisation du savoir a d’ailleurs été l’objet de craintes au moment du lancement de la Grande Bibliothèque.
"Quand elle est entrée en fonction, il y avait cette crainte, oui, que son avènement soit synonyme d’appauvrissement pour les autres bibliothèques. Mais ça ne s’est pas produit: en créant un engouement pour un nouveau modèle, nous avons même donné le goût à d’autres villes d’avoir leur propre grande bibliothèque, et en premier lieu la ville de Québec, avec sa bibliothèque Gabrielle-Roy. Le maire de Gatineau a même fait campagne en promettant une grande bibliothèque à ses électeurs! Par ailleurs, depuis cinq ans, la fréquentation des bibliothèques de Montréal n’a cessé d’augmenter. Mais nous n’avons rien inventé, nous avons adapté ici un modèle qui existait déjà ailleurs."
Vous ne faites certainement pas référence à la Grande Bibliothèque de Paris, la Bibliothèque François-Mitterrand, qui a connu son lot de déconvenues.
"Non! Si on doit parler de Paris, nous nous rapprochons plus du modèle de la bibliothèque du centre Georges-Pompidou: deux millions de visiteurs par an, contre trois millions pour nous. Mais je dirais que le modèle vient plutôt de l’Amérique du Nord, de Seattle, Vancouver, Austin, ou bien d’Égypte, avec la bibliothèque Alexandria. Ces établissements, comme le nôtre, ont été construits sur de nouvelles bases: ils sont accessibles – à ce titre, l’idée de nous situer sur la plaque tournante de Berri-UQAM était géniale – et n’ont pas à s’adapter à l’arrivée de l’informatique et des nouvelles technologies, puisqu’ils les ont intégrées dès le départ."
En ce qui a trait aux nouvelles technologies, on tarde un peu à entrer dans l’ère numérique, non?
"C’est vrai qu’on n’est pas en avance, mais en même temps des pays comme la France ou l’Italie en sont encore au stade de la réflexion. Nous sommes à l’heure actuelle au centre d’un regroupement des institutions culturelles dont l’objectif est de présenter un plan d’action commun à la ministre de la Culture avant les vacances d’été. Il s’agit de donner un grand coup d’accélérateur à la numérisation des oeuvres. En ce qui concerne les livres, nous travaillons avec les libraires, les éditeurs et les auteurs à trouver un terrain d’entente qui garantisse que les droits (et intérêts) de tous soient préservés."
La bibliothèque virtuelle est un fantasme aussi bien en France (Jacques Attali) qu’au Québec, pour certains penseurs. Dans ce contexte, quelle est l’importance du lieu physique?
"L’aspect virtuel est important parce que c’est ce qui nous tient en relation avec la totalité des citoyens du Québec. Mais la bibliothèque du 21e siècle est autre chose qu’un simple lieu de prêt. C’est un lieu communautaire, où l’on peut écouter de la musique, assister à des conférences, voir des films, participer à des activités, un lieu que les gens s’approprient."
Vous avez parlé de créer des bibliothèques pour les adolescents, des espaces dans lesquels seraient intégrés des jeux vidéo, des mangas… On ne risque pas de tirer vers le bas?
"Je suis assez chanceux que des expériences malheureuses en ce sens aient déjà été tentées. Il s’agit non pas de verser dans la démagogie, mais de penser une disposition physique des lieux, d’organiser l’expérience de telle sorte que les ados se dirigent finalement vers le livre. Il faut s’assurer que ce transfert aura lieu, mais pour cela, il faut puiser dans ce type d’expérience. Des établissements de ce type ont été créés dans le Queens et à Montréal-Nord."
Quelques données:
– La Grande Bibliothèque totalise 14 millions d’entrées depuis son ouverture en 2005;
– 60 % des usagers ont moins de 34 ans;
– 55 % des usagers ont un diplôme universitaire, 20 % ont un diplôme primaire et secondaire;
– 69 % des abonnés sont francophones;
– 43 % des prêts réalisés en 2009 sont de support numérique.