Frédéric Martel : Masse critique
La culture mainstream est un phénomène planétaire, rappelle le journaliste français Frédéric Martel dans une vaste enquête consacrée au sujet. L’enjeu: gagner la bataille du soft power, c’est-à-dire le contrôle des mots, des images et des rêves.
Voir: Qu’est-ce que la culture "mainstream"?
Frédéric Martel: "La culture mainstream, c’est l’inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches, de l’art. C’est une culture de masse, dominante, à la fois critiquée parce qu’elle est hégémonique, mais aussi défendue parce qu’au fond, elle plaît à tout le monde. Sa légitimité vient plus de sa quantité que de sa qualité."
C’est une culture prédominante américaine?
"Mainstream est une culture fortement américanisée, mais très mondialisée. Ce courant culturel n’est pas foncièrement américain dans la mesure où il y a désormais plusieurs cultures mainstream, selon des régions et des populations: Johnny Hallyday est mainstream en France; il y a un mainstream version turque à Istanbul; un "Bollywood massala" en Inde; un mainstream très populaire au Japon; un mainstream impérialiste en Chine prêt à en découdre face aux impérialismes concurrents; un mainstream panarabe au Moyen-Orient…"
Donc, la culture mainstream ne menace pas les cultures nationales.
"Une des conclusions de mon enquête devrait réjouir non seulement les Français, mais aussi les Québécois: globalement, les cultures nationales se portent bien. En Asie, en Amérique latine, dans les pays arabes… et même en Europe, la musique diffusée par les radios, les télévisions, le Net… est à plus de 50 % nationale.
"L’édition littéraire est aussi très nationale. Dans beaucoup de pays, le cinéma national connaît un bel essor… Tout ça, c’est très positif.
"Contrairement à ce qu’on dit, la mondialisation ne se traduit pas par la mort des cultures nationales. Au contraire, la majorité des cultures locales ont bien survécu. Mais face à ces cultures nationales, vous avez une autre culture, très puissante et de moins en moins diversifiée: une culture mainstream qui ne remplace pas les cultures nationales mais qui rétrécit l’espace de celles-ci."
Selon vous, la diversité culturelle est l’une des idéologies dominantes de la mondialisation. Une affirmation plutôt surprenante.
"Oui, mais la mauvaise nouvelle est que face aux cultures nationales et à la culture mondialisée, il n’y a pas un autre modèle culturel alternatif. Ce phénomène est particulièrement vrai en Amérique latine, où grosso modo les Brésiliens ont leur culture et la culture américaine, mais ils ne s’intéressent plus aux productions culturelles des Argentins, des Mexicains, des Cubains, des Vénézuéliens… Et vice-versa. Un phénomène analogue se produit aussi en Europe. C’est-à-dire que les cultures qui pourraient être asiatique, sud-américaine… en Europe ont disparu au profit d’une culture américanisée mainstream."
La culture mainstream augure-t-elle une nouvelle révolution culturelle mondiale?
"Comme au début de toute révolution, nous ne percevons pas encore les formes du monde futur, pris que nous sommes dans l’effarement face à ce que nous voyons disparaître sous nos yeux, assis au milieu des débris du monde passé, incapables d’imaginer l’avenir. Les extraordinaires possibilités des réseaux de haute technologie s’ouvrent sous nos pas. Nombre des interlocuteurs interviewés dans le cadre de mon enquête pensent que YouTube, Wikipédia, Flickr, Facebook, Twitter, le Kindle, l’iPod, l’iTunes, l’iPhone ou l’iPad inventent de nouvelles formes culturelles et de nouveaux médias qui transformeront en profondeur la nature même de la culture, de l’art, de l’information et de l’entertainment, peut-être d’ailleurs un jour confondus. Sommes-nous au début de ce processus révolutionnaire ou seulement au milieu du gué? C’est difficile à dire."
Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde
de Frédéric Martel
Éd. Flammarion, 2010, 457 p.
Le 15 juin à 19h, Elias Levy animera un entretien avec Frédéric Martel à la Librairie Olivieri.
Enquête internationale
Mainstream est une passionnante enquête sur la nouvelle guerre mondiale pour les contenus culturels, enquête menée par Frédéric Martel dans 30 pays auprès de 1250 acteurs-clés de l’industrie des médias et des divertissements de masse. Ses résultats, forts surprenants, mettent en charpie des idées reçues sur la mondialisation, notamment celle selon laquelle la globalisation culturelle est en train d’annihiler les cultures nationales. Mainstream est aussi une réflexion perspicace sur la géopolitique de la culture et des médias dans le monde.