Michel Onfray : Tuer le père
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Michel Onfray : Tuer le père

Sigmund Freud n’était qu’un "grossier imposteur", "un phallocrate misogyne et homophobe". C’est ce qu’affirme sans ambages le philosophe Michel Onfray dans un essai décapant consacré au père de la psychanalyse. Entrevue exclusive avec un déboulonneur d’idoles.

Voir: Dans votre livre, non seulement vous mettez en charpie l’image et la statue de Sigmund Freud, mais vous dénoncez aussi avec véhémence la psychanalyse, que vous qualifiez sans détour de "nouvelle religion trompeuse". Comment expliquer alors que le modèle psychanalytique soit toujours si populaire?

Michel Onfray: "Les hommes n’aiment pas la liberté, ils préfèrent l’obéissance, la servitude, la soumission. La relation à l’analyste est une relation de soumission à un tiers qui détient les clés de votre identité, de votre être et de votre équilibre existentiel. De même, les hommes préfèrent une illusion qui les rassure à une vérité qui les inquiète. Or, Freud proposait des illusions rassurantes, des fictions utiles pour éviter le nihilisme d’une fin de 19e et d’un début de 20e siècle sans idéologie dominante. La psychanalyse a été un genre de religion post-chrétienne dans un monde sans Dieu."

Vous reconnaissez avoir été séduit dans votre jeunesse par les thèses freudiennes. Donc, vous avez été vous-même "victime" de ce que vous considérez être aujourd’hui "une grande escroquerie scientifique et intellectuelle"?

"Oui. Quand vous avez 16 ans, que vous lisez des livres de Freud et de psychanalyse édités chez Gallimard ou aux Presses Universitaires de France, autrement dit des éditeurs sérieux; quand on vous enseigne la vérité de Freud et de la psychanalyse au lycée, en classe terminale, parce que le programme de philosophie inscrit Freud dans la liste des auteurs officiels, validés par l’institution; quand vous obtenez le baccalauréat de philosophie en régurgitant les thèses de Freud et de la psychanalyse; quand on vous enseigne aussi les thèses freudiennes à l’université; quand quiconque met cette légende en doute se trouve criminalisé par une milice freudienne qui verrouille les médias; quand toute parution critique à l’endroit de Freud ou de la psychanalyse, comme Le Livre noir de la psychanalyse, est présentée dans la presse comme une entreprise de révisionnistes, d’antisémites, d’auteurs d’extrême droite, de laudateurs du nazisme… (j’ai eu droit à tout ça pour ma part), comment pouvez-vous croire que tout seul vous pourriez résister à pareille entreprise d’endoctrinement intellectuel?"

Vous ne vous contentez pas de décrédibiliser l’oeuvre scientifique et philosophique de Freud, vous vous escrimez aussi à l’attaquer sous un jour plus intime – vous le qualifiez de "cupide", "phobique", "rongé de prurit incestueux"… Pourquoi cette charge contre sa vie privée?

"C’est sa vie privée qui était comme ça! Je ne me contente pas de le dire, je le prouve: le million de signes que comporte mon livre en témoigne. Le miroir n’est pas responsable de la laideur de celui qui s’y regarde."

Selon vous, la psychanalyse est "une fausse science" qui ne sert à rien puisque, affirmez-vous, celle-ci "ne soigne pas".

"Oui, bien sûr, comme le prêtre n’aime pas celui qui affirme que Dieu n’existe pas. Je n’attends pas de gens abusés, qui sont aussi des abuseurs, qu’ils abondent dans mon sens. Par ailleurs, je ne dis pas que la psychanalyse ne soigne pas, puisque je dis explicitement qu’elle guérit dans la limite de l’effet placebo – ce qui fait tout de même 30 % des cas. Je suis donc loin de dire qu’elle ne sert à rien. Je crois aussi que la grotte de Lourdes a son utilité, qu’elle guérit également, et je suis pourtant un athée radical!"

Vous qualifiez Sigmund Freud de "juif antisémite" et d’"admirateur du fascisme"il aurait été un admirateur épistolaire de Mussolini. Cette accusation cinglante est-elle sérieuse et fondée?

""Admirateur épistolaire"? Quelle drôle de formulation! Il s’agit d’une dédicace élogieuse clairement explicite qu’on peut lire dans les archives italiennes sur un exemplaire de Pourquoi la guerre?, dans laquelle Freud assure Mussolini de son salut et de son hommage respectueux au "héros de la culture" qu’aurait été le dictateur. Si j’avais envoyé l’un de mes livres avec ce genre de dédicace élogieuse à Jean-Marie Le Pen, croyez-vous que mes détracteurs auraient considéré que c’était une information nulle et non avenue? Cette sympathie pour le fascisme est également visible dans le soutien que Freud apporte au chancelier Dollfuss, l’inventeur de l’austrofascisme, et dans sa collaboration avec le nazi Felix Boehm pour que la psychanalyse puisse continuer à exister sous le régime national-socialiste – ces faits historiques sont développés dans mon livre.

Quant à l’antisémitisme de Freud, lisez Moïse et le monothéisme! Quand Freud se demande pourquoi "les juifs ont d’eux-mêmes une opinion particulièrement favorable" et qu’ils se trouvent "plus nobles et plus élevés que les autres", qu’il s’interroge sur les raisons de leur "orgueil", ou qu’il enseigne que Moïse n’a jamais été juif mais Égyptien et que les juifs sont en fait des Égyptiens, et ce alors que l’Europe est sous la botte nazie, que faut-il en penser? Pour beaucoup moins que ça, on se trouve aujourd’hui affublé de l’épithète infamante d’antisémite."

Vos contempteurs vous reprochent de réhabiliter des thèses d’extrême droite, réactionnaires, fascistes, antisémites… Que leur répondez-vous?

"Que leur haine hystérique prouve bien que j’ai mis dans le mille. On ne se met pas dans des états pareils sinon! Je souris avec un calme olympien…"

Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne
de Michel Onfray
Éd. Grasset, 2010, 613 p.

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LE CRÉPUSCULE D’UNE IDOLE

Détrompons-nous! La charge du philosophe Michel Onfray contre Sigmund Freud et le modèle psychanalytique que ce dernier a concocté n’est pas étayée dans un pamphlet fougueux, mais dans un essai, certes très dérangeant, mais perspicace et solidement argumenté. Le philosophe revisite méticuleusement l’oeuvre très dense et la vie tumultueuse de Freud. Cependant, un mystère lancinant persiste, que Michel Onfray n’est pas à la veille d’élucider: comment expliquer le succès du freudisme et de la psychanalyse depuis un siècle?