Jean-Louis Servan-Schreiber : État d'urgence
Société

Jean-Louis Servan-Schreiber : État d’urgence

Dans Trop vite!, Jean-Louis Servan-Schreiber analyse le "court-termisme" et ses dommages sur nos vies. Une lecture passionnante et salutaire par les temps qui courent.

Ce n’est pas une thèse, mais une enquête. Pas un remède, mais un diagnostic. Cela commence par un constat, celui de l’accélération inexorable de nos modes de vie. L’auteur s’interroge et ironise sur cet homme moderne qui vit deux fois plus longtemps, travaille deux fois moins et voyage dix fois plus vite que ses ancêtres, mais qui se plaint tout de même de manquer de temps!

Jean-Louis Servan-Schreiber raconte: "L’avènement des nouvelles technologies et leur généralisation ont fait de nous des êtres hyperconnectés, sollicités en permanence via une multitude de canaux, et donc forcés de s’adonner à un zapping de tous les instants."

Le jugement est sans appel: nous sombrons, implacablement, dans une civilisation de l’urgence où la vitesse et la productivité sont élevées au rang de vertus cardinales.

"Médecins urgentistes"

S’ensuit une dissection méthodique de la façon dont le "court-termisme" a envahi tous les compartiments de nos vies et modifié notre rapport aux êtres et aux choses. À commencer par la politique. "Nos dirigeants, explique-t-il, sont désormais soumis à une opinion publique de plus en plus volatile qui peut s’exprimer en temps réel et sans retenue sur les sujets qui la touchent. D’où l’avènement d’une "politique de l’anecdote et de l’émotion" qui ne traite plus des problèmes de fond, jugés électoralement peu payants."

De même pour la finance, où la recherche effrénée d’une rentabilité à court terme a causé les dégâts que l’on sait. Ou bien pour les entreprises, dont la finalité est de produire non plus des biens et services, mais des profits – à court terme, évidemment. Même constat pour la publicité, qui véhicule le culte de la nouveauté et "l’obsolescence programmée" pour nous faire consommer toujours plus, et plus vite. Et cela se ressent jusque dans notre vie sociale et amoureuse, plus que jamais chamboulée à l’heure du speed dating et des ruptures par courriel.

La liste est encore longue des domaines où le court-termisme a fait de nous des "médecins urgentistes" qui ne voient pas plus loin que le bout de leur journée.

"Devoir de pessimisme"

Mais le véritable fléau, écrit Jean-Louis Servan-Schreiber, réside en ceci que le court-termisme se nourrit lui-même. Que la vitesse empêche de penser la vitesse et que l’urgence empêche de penser le long terme. Il prévient: "La société où nous passerons le reste de notre vie est devenue un bolide dont la portée des phares diminuerait en proportion de son accélération." En d’autres termes, une société dont le passé est rétréci et le futur, invisible.

À qui lui reproche d’être pessimiste, Jean-Louis Servan-Schreiber répond qu’on a tous un "devoir de pessimisme, car lui seul permet de penser les désastres avant qu’ils n’aient lieu". Quand ce n’est pas déjà trop tard, comme il le suggère dans un dernier chapitre sur l’environnement.

Il n’y a pas de solution toute faite ni de recette miracle dans ce livre. D’ailleurs, existeraient-elles qu’il serait franchement utopiste de vouloir les mettre en oeuvre à l’échelle mondiale. "La solution, conclut-il, se trouve en chacun de nous. C’est à titre personnel qu’il faut repenser notre rapport au temps."

Et s’il ne donne pas de conseil pour y parvenir, voici le mien: achetez le livre, installez-vous dans votre fauteuil favori, et lisez-le. Je veux dire, prenez le temps de le lire, et prenez le temps d’y penser. Vous ferez là votre premier pas pour sortir de "la périlleuse spirale du court-termisme".

Trop vite!
de Jean-Louis Servan-Schreiber
Éd. Albin Michel, 2010, 208 p.