20e anniversaire de la réunification de l’Allemagne : Sans frontières
Huit institutions culturelles montréalaises s’unissent afin de souligner le 20e anniversaire de la réunification de l’Allemagne. Pour l’occasion, nous avons rencontré Émilie Bibeau et Serge Postigo, têtes d’affiche de L’Opéra de quat’sous présenté au Théâtre du Nouveau Monde, mais aussi Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, où sont exposées 200 des oeuvres d’Otto Dix. On jette aussi un coup d’oeil sur ce qui se passe aux Grands Ballets, à l’Opéra de Montréal, à la Grande Bibliothèque, à la Cinémathèque et au Goethe-Institut.
L’OPERA DE QUAT’SOUS
Le Théâtre du Nouveau Monde se paie ces jours-ci une petite incursion dans l’univers de Bertolt Brecht avec L’Opéra de quat’sous. Théâtre épique, distanciation, songs: autant de termes très connotés qui ont enrobé ce répertoire d’une aura théorique le rendant parfois austère. C’est pourtant un théâtre festif, engagé et rempli de questions sur le monde et les inégalités sociales, une oeuvre lucide et très incarnée, si l’on en croit Serge Postigo, interprète de Mac the Knife, le roi de la pègre qui s’engage dans un conflit avec Peachum, chef d’un groupe de mendiants, en lui ravissant sa fille Polly (Émilie Bibeau).
"La distanciation, ce n’est pas le détachement de l’acteur face à son personnage, comme on a tendance à le croire. Cette vision-là vient d’une mauvaise interprétation du mot allemand. On est dans une sorte de transparence chez Brecht: les micros ne sont pas cachés, les didascalies sont dites, les titres des chansons sont annoncés, dans le but de ne jamais perdre de vue la partition générale et le regard d’ensemble sur la situation, ce qui devrait encourager le spectateur à réfléchir et à agir. Mais il ne faut pas croire qu’on est des marionnettes ou des acteurs-instruments au service d’une partition mécanique. Le jeu est quand même très incarné."
Voilà peut-être qui décrit bien le projet du metteur en scène Robert Bellefeuille et du traducteur René-Daniel Dubois, qui avaient le désir de "décaper" la pièce, c’est-à-dire de lui redonner sa fraîcheur, de la faire revivre sans ses multiples couches d’interprétation et sans la tradition théâtrale française qui la recouvre trop souvent.
"René-Daniel cherchait à ne pas emprisonner le texte dans une langue figée, explique Bibeau. Dans cet esprit-là, je pense qu’on vit très fort l’esprit de groupe dans ce projet-là, le sentiment d’être une tribu théâtrale venue défendre un texte extrêmement vivant. Je réalise en répétition combien c’est une chance de jouer les narrateurs impliqués en même temps qu’un personnage très dans l’action, en même temps qu’une chanteuse. C’est rare qu’on puisse faire tout ça à l’intérieur d’une oeuvre et c’est vraiment riche de passer de l’un à l’autre. Le spectateur, lui, devient le juge des actions de ces personnages, c’est un peu comme une assemblée populaire où tout le monde est juge du destin de chacun et doit réfléchir à la situation en jeu, à l’inégalité sociale, à l’inégalité des sexes aussi."
"C’est une pièce prérévolutionnaire en quelque sorte, dit Postigo. Brecht l’a écrite un an avant le krach de 1929, et montre le fossé qui se creuse entre les deux classes sociales dominantes. Surtout, il montre que les riches sont capables de créer la misère, mais sont incapables d’en supporter la vue. Voilà qui est encore très parlant: on nie les injustices que l’on crée nous-mêmes, qui sont le produit de nos excès. À notre propre échelle, nous sommes tous responsables du sort du gars qui lave notre pare-brise."
En avant la musique
L’Opéra de quat’sous, inspiré de L’Opéra des gueux de John Gay, est une oeuvre construite en fusion totale avec le compositeur Kurt Weill, avec qui Brecht avait développé une affinité plus grande que nature. Les musiques, à la fois grinçantes et joyeuses, contribuent à affiner le regard critique que la pièce pose sur le monde, mettant en évidence les failles de l’engrenage économique sans toutefois sombrer dans la noirceur totale. L’Opéra de quat’sous est une oeuvre festive; et comme le dit Postigo, "les pauvres y revendiquent le droit d’être pauvres et ne sont pas seulement des victimes qui ne chercheraient qu’à se sortir de leur situation. La musique met très bien ça en évidence".
Le comédien, qui a quelques comédies musicales à son actif, se dit heureux de chanter sans que les chansons soient centrées sur l’émotion de son personnage, comme il est d’usage dans le monde du musical. Même chose pour Émilie Bibeau, qui explique que "les songs viennent commenter, parfois démentir, ce qui vient de se passer, elles font partie du processus de distanciation et témoignent de la situation d’une manière plus large, sans jamais rester collées à l’individualité du personnage. Mais, en même temps, la musique est tellement puissante, les mélodies sont tellement marquantes que ça transporte aussi des sensations. C’est très "groundé" et le directeur musical Pierre Benoit a fait un superbe travail, très connecté à la vision de Robert Bellefeuille".
L’Opéra de quat’sous, du 28 septembre au 23 octobre, au Théâtre du Nouveau Monde (84, rue Sainte-Catherine Ouest, 514 866-8668). Info: www.tnm.qc.ca. (P. Couture)
8 x l’Allemagne
Info: www.8xallemagne.com ou 514 285-4545
ROUGE CABARET
Si l’expo Rouge Cabaret: Le monde effroyable et beau d’Otto Dix dans sa totalité est dans l’esprit de ce que nous avons eu le bonheur d’apercevoir lors du montage, ce sera un des événements majeurs de la saison en arts visuels au pays. Une oeuvre originale et engagée. Une oeuvre loin de la mode, du ton faussement subversif qui domine actuellement. Une oeuvre où l’ironie tend vers la satire et sert à exhiber les travers des classes sociales. À l’opposé de l’usage de ce type d’humour qui, de nos jours, a été récupéré par bien des artistes célèbres, eux aussi récupérés par de riches clients souhaitant court-circuiter ce type de subversion. Le peintre allemand Otto Dix (1891-1969), lui, ne faisait pas dans le joli, mais touchait au coeur des êtres. C’est ce que nous explique avec passion Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM).
Voir: Pourquoi, de nos jours, faut-il aller voir le travail d’Otto Dix?
Nathalie Bondil: "Parce que, tout simplement, c’est un peintre qui traite d’enjeux extrêmement contemporains. J’en prends pour preuve la une récente d’un journal où il y avait la photo d’un soldat canadien estropié de ses deux jambes et qui brandissait une de ses fausses jambes. C’est une des réalités de la guerre que nous ne voulons pas voir. Quand nous comparons cette image avec l’oeuvre de Dix, ce qu’il a pu montrer de la Première Guerre mondiale, ses estropiés, ses damnés de la société, on n’a pas besoin d’être un génie pour comprendre que ce peintre-là a un propos d’une portée universelle et intemporelle. Au-delà de cette époque de tumulte et de trouble qu’il a vécue, d’une guerre mondiale à l’autre, époque très complexe, Dix a été un humaniste qui s’est toujours positionné comme apolitique pour laisser les gens observer et comprendre par eux-mêmes. C’est d’ailleurs le sens de la Nouvelle Objectivité, mouvement auquel il a participé. Ce qu’il dit, c’est: "Ouvrez les yeux et vous comprendrez." À chacun la responsabilité d’analyser la société dans laquelle on est. Ce que veut Dix, ce n’est pas que l’on voie, mais que l’on regarde, ce n’est pas que l’on entende, mais que l’on écoute. C’est ce niveau de conscience qu’il veut éveiller."
Et pas seulement à propos de la guerre…
"C’est quelqu’un qui avait beaucoup de compassion envers les marginaux. Dans l’expo, il y a beaucoup d’éléments didactiques pour mettre en contexte l’oeuvre d’Otto Dix et cet aspect. Car quand on voit son oeuvre, bouleversante et choquante, on peut se dire parfois: "Est-ce l’oeuvre d’un pervers ou d’un malade?" C’était un homme qui avait une humanité profonde et qui voulait démontrer la société telle qu’elle était, dans toute sa laideur, au-delà des masques. Il dévoilait la misère morale d’une société défaillante en perte de valeurs. Il montrait des femmes, souvent des veuves, qui devaient s’adonner à la prostitution, car sans mari. Il montrait aussi une société au bord du volcan qui s’oubliait dans les plaisirs pour tourner le dos à une guerre trop proche. Il décrit toute cette société-là sans aucune complaisance, avec une sympathie et une empathie particulières pour ceux qui étaient dans les marges. À ces individus, il a donné un vrai niveau d’humanité sans les héroïser.
Rouge Cabaret: Le monde effroyable et beau d’Otto Dix, du 24 septembre au 2 janvier, au Musée des beaux-arts (1380, rue Sherbrooke Ouest, 514 285-2000). Info: www.mbam.qc.ca.
Un regard sur Dix
Ce sera son troisième film sur un peintre. Après L’Atelier de mon père (sur Edmund Alleyn) et son documentaire sur Jacques Monory, voici que la cinéaste Jennifer Alleyn aborde le travail d’Otto Dix. Une oeuvre qui, souligne-t-elle, "permet de parler de la liberté de création". Comment a germé ce projet? "J’ai suivi un cours pour devenir guide bénévole au Musée des beaux-arts. Je désirais plonger dans la collection par ce biais-là. J’ai fait tous mes travaux sur le portrait d’Hugo Simons par Dix. Ce tableau m’inquiétait et m’envoûtait en même temps… Pour un travail, j’ai passé deux heures devant cette oeuvre à essayer de comprendre, entre autres, ce geste de la main qui évoque le plaideur qui tisse son argumentation. Il m’a totalement séduit. Alors, quand j’ai appris que le Musée montait une expo sur cet artiste, j’ai appelé Nathalie Bondil pour lui proposer ce film. Je me suis dit que les autres oeuvres de ce peintre devaient avoir une aussi formidable histoire que ce tableau réalisé par Dix pour remercier son avocat Simons. Celui-ci l’avait défendu contre un client qui ne voulait pas payer le portrait de sa fille qu’il avait commandé, car il ne le trouvait pas ressemblant. Simons aurait alors défendu la liberté de création de l’artiste et gagna son procès." Dans ce documentaire, un des dix volets portera d’ailleurs sur le chef-d’oeuvre. Le film Dix fois Dix sortira au printemps 2011. Pour l’instant, nous pourrons en voir un extrait dans l’expo du MBAM. (N. Mavrikakis)
LEONCE ET LENA
C’est 2 x l’Allemagne que nous offrent à eux seuls Les Grands Ballets Canadiens de Montréal avec ce ballet intégral créé en 2008 pour le Ballet d’Essen. D’abord, parce que Christian Spuck, ex-danseur d’Anne Teresa De Keersmaeker et chorégraphe attitré du Ballet de Stuttgart depuis 10 ans, s’affiche comme une figure montante et déjà emblématique de la création chorégraphique contemporaine au pays de Goethe. Ensuite, parce qu’il puise ici dans l’oeuvre d’un compatriote qui a peu produit, mais qui n’en a pas moins marqué la scène littéraire allemande: Georg Büchner.
Auteur du célèbre Woyzeck, ce dernier a écrit Léonce et Léna en 1838, en réponse à un concours pour la meilleure comédie en un ou deux actes. S’appuyant sur la révolte que lui avaient inspirée les dépenses excessives pour le mariage du prince Louis de Hesse et la princesse Mathilde de Bavière face à la misère du peuple, le jeune révolutionnaire a imaginé une oeuvre satirique soulignant l’absurdité des us et coutumes aristocratiques. Une matière de rêve pour Christian Spuck qui donne corps à une cour composée d’automates et de marionnettes et qui insiste sur la dimension tragicomique de cette parodie grinçante de comédie romantique.
L’histoire est celle du prince de Popo et de la princesse de Pipi qui, s’offrant une escapade dans le vrai monde pour oublier la triste perspective du mariage arrangé auquel ils sont tous deux soumis, se rencontrent et tombent amoureux l’un de l’autre. Sur des musiques de Johann Strauss.
Léonce et Léna, au Théâtre Maisonneuve de la PdA (175, rue Sainte-Catherine Ouest, 514 842-2112), du 21 octobre au 6 novembre. Info: www.grandsballets.com. (F. Cabado)
SALOME
L’Allemagne et le 20e siècle sont deux oiseaux rares à l’Opéra de Montréal, ce qui fait deux bonnes raisons d’aller y entendre la musique de Richard Strauss. On n’en a pas l’occasion si souvent à Montréal – non, pas les valses des Viennois Johann, père et fils, mais les oeuvres très substantifiques du compositeur, allemand, d’Ainsi parlait Zarathoustra. C’est donc avec plaisir que l’on ira découvrir cette coproduction avec l’Opera Theatre of Saint Louis. Et comme on le souhaitait en février dernier, après l’avoir vue dans le rôle de Tosca, on retrouvera avec plaisir la soprano Nicola Beller Carbone dans le rôle-titre de Salomé, qui devrait lui aller comme un gant.
L’oeuvre date de 1905 et le livret de Hedwig Lachmann s’inspire de la pièce d’Oscar Wilde (1891). On connaît, bien sûr, l’histoire de Salomé, belle-fille d’Hérode, qui, voulant se venger d’un prophète (Jean le Baptiste) ayant refusé ses avances, commande sa tête sur un plateau d’argent en échange d’une danse olé olé pour beau-papa. Elle est simple, et tient en un acte. Mais on nous la raconte ici avec 102 musiciens, dont un qui joue de l’orgue, et ce sont ceux de l’Orchestre Métropolitain, sous la baguette de maestro Yannick Nézet-Séguin, qui l’illustreront pour nous.
Les critiques de la version américaine, donnée l’année dernière avec le même metteur en scène, Sean Curran, étaient dithyrambiques, nous promettant même d’être émoustillés par une danse des sept voiles se concluant par une brève, mais totale, nudité. Scandale à l’opéra?
Salomé, à la Salle Wilfrid-Pelletier de la PdA (175, rue Sainte-Catherine Ouest, 514 842-2112), du 19 au 31 mars 2011. Info: www.operademontreal.com. (R. Beaucage)
AUSSI AU MENU
Le circuit culturel de 8 x l’Allemagne comprend aussi des activités organisées par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, la Cinémathèque québécoise, la Fondation Arte Musica et le Goethe-Institut Montréal.
Grande Bibliothèque
Trois rendez-vous sont donnés entre les murs de l’Auditorium de la Grande Bibliothèque (475, boulevard De Maisonneuve Est, 514 873-1100). Le 23 septembre, à 19 h 30, Gabriel Arcand fera entendre des extraits du Liseur, le célèbre roman de Bernhard Schlink. Le 28 septembre, à 19 h 30, notre collègue Christine Fortier nous invite à découvrir les groupes phares de la musique métal allemande. Le 10 mars, Michael Eberle-Sinatra, professeur de littérature anglaise à l’Université de Montréal, prononcera une conférence autour de Salomé, l’opéra de Richard Strauss (1864-1949) inspiré par la pièce d’Oscar Wilde. Info: www.banq.qc.ca.
Cinémathèque québécoise
La Cinémathèque (335, boulevard De Maisonneuve Est, 514 842-9763) présente, tout d’abord, trois classiques du cinéma muet associés à l’expressionnisme allemand. Les 1er et 8 octobre, les films de Murnau Le Dernier des hommes (1924) et Faust (1926) seront accompagnés au piano par Roman Zavada. Le 27 octobre, la projection d’une copie rare, restaurée et coloriée du Montreur d’ombres (1923) d’Artur Robison sera rythmée par la musique de Gabriel Thibaudeau interprétée par les étudiants de la Faculté de musique de l’Université de Montréal. Le 29 octobre, le cinéaste d’animation Andreas Hykade donnera une leçon de cinéma. La veille, on aura présenté la plupart de ses oeuvres, dont la plus récente, Love & Theft. Ajoutons qu’en janvier et février, plusieurs des films de Werner Schroeter, cinéaste et metteur en scène de théâtre et d’opéra décédé en avril dernier, seront projetés à la Cinémathèque. Info: www.cinematheque.qc.ca.
Fondation Arte Musica
Entre les murs du Musée des beaux-arts (1380, rue Sherbrooke Ouest, 514 285-2000), la Fondation Arte Musica présentera sept concerts dont trois sont en lien direct avec l’exposition Otto Dix. Le 24 septembre, à 18 h 30, six musiciens parmi lesquels des petits-enfants de l’avocat Hugo Simons (dont Otto Dix a fait le portrait qui se trouve au Musée) joueront Hindemith et Stravinski. Le 5 novembre, à 18 h 30, six musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal feront entendre Schulhoff et Schoenberg. Le 3 décembre, à 18 h 30, cinq musiciens, dont un accordéoniste et un cymbaliste, joueront des airs tziganes. En septembre et octobre, dans un récital de clavecin commenté, Geneviève Soly transmettra sa passion pour Christoph Graupner. En décembre, le Studio de musique ancienne de Montréal, sous la direction de Christopher Jackson, célébrera la grande tradition du motet germanique avec Bach, Mendelssohn et Brahms. Info: www.fondationartemusica.ca.
Goethe-Institut
Depuis 1962, le Goethe-Institut Montréal (418, rue Sherbrooke Est, 514 499-0159) organise des projets où des artistes et intellectuels canadiens et allemands sont appelés à travailler ensemble. Au coeur de 8 x l’Allemagne, le Goethe-Institut propose différentes activités. Le 25 septembre, de 11 h à 17 h, un rallye permettra de découvrir le visage allemand de Montréal. Le point de départ et d’arrivée: le Goethe-Institut. Du 30 septembre au 10 décembre, on dressera un portrait de la nouvelle génération de réalisatrices allemandes en projetant une dizaine de films sous-titrés. Enfin, du 4 au 31 octobre, à la Bibliothèque Marie-Uguay, une exposition mettra en scène les crimes les plus sordides, mais aussi les meilleurs enquêteurs de la littérature policière allemande. Info: www.goethe.de/ins/ca/mon/enindex.htm. (C. Saint-Pierre)