David Suzuki : Force de la nature
Société

David Suzuki : Force de la nature

Dans un livre – The Legacy – et un film – Force of Nature – à saveur testimoniale, David Suzuki enfonce le clou de l’urgence environnementale. De passage éclair à Montréal, le scientifique en appelle cette fois-ci au coeur autant qu’à la raison.

"Si vous aimez vos enfants, vous n’avez pas le choix. Vous devez devenir des guerriers." Remonté, David Suzuki. Le scientifique, star du petit écran et militant pro-environnement depuis plus de 30 ans, a beau être entré dans sa death zone, les forces restent vives. À défaut de pouvoir jouer directement dans les arcanes du pouvoir politique – "notre incapacité à atteindre les personnes qui prennent les décisions est tellement frustrante!" -, le septuagénaire met les bouchées doubles. Il accompagne, dans le même temps, le lancement de son livre The Legacy et celui du documentaire Force of Nature, mélange d’extraits de conférences, d’archives et d’images tournées sur plusieurs mois par l’équipe du cinéaste Sturla Gunnarsson.

Des camps d’internement à Hiroshima

Pas vraiment l’idée de départ: "J’imaginais plutôt un film à la Avatar sur le big bang et la création de l’univers. Mais ils ont préféré y aller avec quelque chose de plus centré sur ma personne." De fait, dans le livre comme dans le film, le récit, s’il se veut philosophique, rencontre le parcours personnel de David Suzuki, les relations familiales parfois douloureuses, les années d’enfance passées dans les camps d’internement canadiens, le rapport intime, développé très tôt, avec la nature. Des scènes de commémoration d’Hiroshima à celles où il évoque la disparition de sa mère, la voix se casse, l’émotion est palpable. "Il était clair pour moi que si je voulais toucher les gens, je devais aller droit au coeur", dira l’homme de science.

Lucide. David Suzuki maîtrise depuis longtemps – son émission The Nature of Things roule depuis 30 ans – l’art et la manière de communiquer les idées. "Faire appel à l’émotion peut s’avérer dangereux. C’était la méthode employée par les fascistes durant la guerre. C’est aussi celle du Tea Party aux États-Unis. Mais si nous devons user de la science et des informations que nous possédons, nous devons le faire en lien constant avec le coeur. Et la clé, ce sont les enfants." Le grand-père s’avoue "dévasté" devant le monde dans lequel grandit son petit-fils, même si, à l’écran comme en personne, il ne perd pas son sens de l’humour, qu’il dit être le propre des "grands hommes". Celui des Premières Nations aussi, avec lesquelles il a, depuis toujours, développé un lien quasi filial.

Le problème, c’est nous!

En dépit de ce qui est considéré comme le bon sens, David Suzuki insiste sur l’étroite corrélation entre nature et culture. Il rappelle, encore, que sans poisson, la culture japonaise ne serait pas la même, ou que sans ses forêts, le peuple haïda aurait depuis longtemps déserté les berges des îles de la Reine-Charlotte, en Colombie-Britannique. Et de montrer du doigt la première fautive: la démographie mondiale, galopante: "Dans le but de protéger la culture québécoise, le gouvernement provincial essaie de faire augmenter sa population. Je pense que c’est fou! Chaque Canadien consomme de 20 à 40 fois plus qu’un Indien ou un Chinois, et de 60 à 80 fois plus qu’un Bengalais. C’est pas eux le problème, c’est nous!" Et qu’on ne vienne pas lui parler du vieillissement de la population et du besoin d’une population jeune pour soutenir l’économie: "Quand l’économie devient notre priorité, la nature disparaît."

Révolutionnaire, David Suzuki? L’homme croit plutôt à la possibilité d’une nouvelle économie, basée sur nos besoins premiers: "Tu n’auras pas de iPhone3, ou 4, ou 5. Tu n’auras pas de Walmart." La tâche sera ardue, de l’aveu de celui qui fustige nos gouvernants, prompts à brandir le spectre de la crise économique: "Regardez monsieur Harper: il muselle de grands scientifiques grâce à l’argent de mes taxes en les faisant travailler pour son gouvernement." Au pilori, aussi, l’industrie des énergies fossiles, Exxon en tête, "qui a dépensé des millions de dollars pour ses campagnes de désinformation". Responsables, selon lui, du temps perdu depuis 30 ans: "En 1988, lorsque j’ai demandé à Lucien Bouchard, alors ministre de l’Environnement, quel était le problème le plus important à régler, il m’a répondu sans hésiter: "Le réchauffement de la planète." Et puis il a ajouté: "C’est une menace pour la survie de notre espèce. Il faut agir, maintenant.""

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Réalisé par Sturla Gunnarsson, le documentaire Force of Nature: The David Suzuki Movie a reçu le Prix du public – documentaire lors du dernier Festival international du film de Toronto. À 73 ans, David Suzuki a prononcé une conférence qu’il décrit comme étant "un dernier exposé – l’essence de ma vie et de mes réflexions, mon héritage, ce que je veux dire avant de mourir". Le film reprend des extraits de cette conférence, ponctués d’entrevues et d’images d’archives retraçant les moments-clés de la vie du scientifique. À l’AMC Forum (en version originale anglaise).
Le livre The Legacy, publié aux éditions Greystone Books et dont on espère une traduction française, constitue la retranscription du même discours, auquel s’ajoute une introduction de Margaret Atwood.