Melinda Pap : Pap art
Société

Melinda Pap : Pap art

De coups de coeur en coups de gueule, Melinda Pap ranime le design montréalais entre les quatre murs de sa galerie, l’Atelier Punkt. Service essentiel.

"Tu sais, la semaine dernière, tous les designers que j’ai vus étaient complètement déprimés. Ils voulaient tous crisser leur camp à l’étranger. Ça me crève le coeur de voir ça. Une société qui ne respecte pas ses jeunes a une âme pauvre." Elle râle, Melinda Pap, se fait des cheveux blancs. Elle fume aussi, cigarette après cigarette – "c’est un peu mon signe distinctif". Rigole. L’Atelier Punkt, son bébé, deux ans déjà, a accueilli cette année 15 000 personnes.

Essentiel, si l’on en croit le New York Times, qui a catalogué la galerie comme l’un des seuls lieux vraiment d’avant-garde en ville: "Ça marche super bien. La seule chose qui ne marche pas, c’est l’argent. En deux ans, la galerie n’a reçu aucune subvention, parce que nous sommes impossibles à classer. Incroyable, alors que le monde se dirige vers la multidisciplinarité, de fonctionner encore par catégorisation!"

Espace hybride, l’Atelier Punkt accueille une faune hétéroclite entre deux créations in situ, mais pas seulement. Boutique aussi, véritable foire aux trésors pour amateurs d’objets insolites et merveilleux, Punkt reflète la part la plus inventive de la création contemporaine: "Punkt, ça vient du mot "point", en allemand. Ma mère finissait souvent ses phrases comme ça: "punkt!", point final." Sans appel, à l’image des choix de Melinda, exigeants, éclairés, jusqu’au-boutistes: "La création, c’est la chose la plus libre qui existe, et la liberté, il ne faut pas la politiser."

Montréal, ville de design?

De ses racines hongroises, elle retient l’éducation, très sévère "mais essentielle", et le goût des livres, acquis très tôt: "Mon grand-père m’a mis la totale de Nietzsche entre les mains dès mon plus jeune âge. J’ai rien compris, mais bon, ça m’a permis d’apprendre l’alphabet en hongrois!" Melinda Pap n’aime pas beaucoup parler d’elle. Elle revient illico sur l’importance de la littérature: "Quand je posais une question à ma mère, elle allait me chercher un livre, le déposait devant moi et me disait que tout était là." Polyglotte – elle parle allemand, russe, hongrois, français et anglais -, elle insiste dans la foulée sur la portée de l’éducation chez l’artiste: "La création n’existe pas sans culture générale, histoire, littérature, langues ou architecture. Ça reste vide."

La militante n’est jamais loin: "Une seule bourse de 30 000 $ par année pour combien de jeunes architectes qui sortent de l’université? Je trouve triste qu’on n’ait pas compris l’intérêt de l’architecture. C’est la base de tout, ça parle des qualités d’un peuple. Heureusement, il y a le CCA. Merci, Phyllis Lambert!" Pas de demi-mesure non plus lorsqu’il s’agit d’évoquer les faillites successives chez les jeunes designers "dans une ville où on parle tout le temps de culture": "Le Musée des beaux-arts se contente d’emprunter les oeuvres, il ne les achète même pas, alors que ça ne coûte rien!"

Passionaria, Melinda Pap emprunte au noir et blanc dont elle se pare et dont elle use pour ses oeuvres le goût des extrêmes, quitte à passer pour une emmerdeuse: "Je n’ai jamais aimé les milieux. Le milieu, c’est pour les faibles. Vouloir plaire à tout le monde, c’est une erreur. L’art n’est pas fait de compromis." N’empêche: elle animera des ateliers gratuits pour les enfants défavorisés ou issus de famille monoparentale, dès le mois de janvier. Au programme: sensibilisation au design d’objets, à la typographie, aux affiches, gravures, à l’architecture et… à la littérature, à travers des expositions de l’Atelier. "Pour créer, il faut être capable d’aimer. D’aimer tout. Chez Punkt, il y a le coeur aussi, la générosité." Point.

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C.V.

Artiste plurielle – le dessin dès 8 ans, l’estampe, puis la gravure, et enfin le design d’objets, particulièrement de chaises -, Melinda Pap a grandi en Hongrie, exposé plus de 300 fois ses oeuvres en Europe et au Canada.
Elle est arrivée au Québec en 1987 et a ouvert l’Atelier Punkt en 2008, seule galerie privée consacrée à la rencontre du design d’objets, du design graphique, de l’architecture et des arts visuels à Montréal.

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Événement à venir à l’Atelier Punkt

Carte blanche à Roadsworth du 23 octobre au 21 novembre: l’artiste crée pour la première fois en galerie, à partir des pochoirs qu’il utilise pour appliquer ses graphies et couleurs. Il réalisera aussi des graphies exclusives extramuros (autour du 5333, avenue Casgrain, et sur l’avenue De Gaspé pour une vue plongeante depuis les fenêtres de la galerie).
Info sur les expos et les ateliers: Atelier Punkt, 5333, rue Casgrain, local 205. Tél. : 514 458-7960. www.atelierpunkt.com