Pascale Navarro : Girl power?
La journaliste Pascale Navarro explore la politique telle que les femmes en font, à partir d’une vingtaine d’entrevues de politiciennes canadiennes. Sa conclusion: le pouvoir féminin n’existe pas. Le pouvoir des femmes, oui.
Voir: Le livre a suscité beaucoup de débats depuis sa sortie. Quand on choisit un tel sujet, on avance en terrain miné?
Pascale Navarro: "Les gens que le sujet intéresse vraiment saisissent bien la nuance et le souhait que j’avais de ne pas rentrer dans le jeu de la guerre des sexes. Mais absolument, oui, c’est un livre que j’ai écrit en marchant sur des oeufs. Et en essayant d’éviter les pièges. Sur la figure maternelle, par exemple; avant, l’état de mère venait avec toute une série de clichés: la mère supérieure, la mère étouffante, etc. J’étais tannée d’entendre ça. Et puis lorsque j’ai vu des femmes comme Hillary Clinton – qui se présentait en 2008 comme mère et avocate – ou Ségolène Royal en France, j’ai pensé que, enfin, les choses étaient en train de changer. Mais je me suis rendu compte que ce n’était qu’une variation sur un thème dont on a besoin en politique. On va dans le même sens que les hommes: si on veut un leadership, il faut montrer qu’on est capable de prendre un groupe en charge. C’est pour ça qu’elles jouent sur cette image-là."
Un outil stratégique, y compris pour les hommes, comme Barack Obama, avec ses comités de femmes durant les primaires de 2008?
"C’est une façon de se positionner, mais par ailleurs je suis certaine qu’elles y croient. La même chose pour Obama: c’est une conjoncture, il n’avait pas le choix de réagir de cette façon face à Hillary Clinton. Mais je reste convaincue que la stratégie a été efficace parce qu’il croyait à la force des femmes, un peu comme Jean Charest."
Le même Jean Charest qui n’hésite pas à les pousser en première ligne, écrivez-vous.
"Est-ce qu’on voit la même chose du côté de Pauline Marois? C’est plutôt l’inverse… Au-delà des questions idéologiques, le Parti libéral aime les femmes fortes, il a toujours laissé la place aux femmes. Plus que le Parti conservateur, pas nécessairement plus que le Parti québécois à une certaine époque, mais aujourd’hui je trouve que les figures féminines sont plus visibles du côté du pouvoir. Ceci étant, c’est normal: si demain matin, le PQ arrivait au pouvoir, on en verrait sans doute beaucoup plus dans ses rangs."
Les femmes ont fait avancer les choses dans des domaines comme la famille, les droits des femmes, etc. Mais pour le reste, c’est un peu flou.
"C’est ma thèse: les femmes n’ont pas la bonté, la vertu dans les gènes. On l’a vu récemment: c’est une femme qui est la porte-parole du mouvement le plus à droite au Québec. On a souvent dit que les femmes étaient plus proches de la vie, donc plus pacifistes. Plus il y aura de femmes en politique, moins on entendra ce genre de préjugés, parce qu’on va voir tout un spectre d’idées. De la même manière, plus les femmes feront de la politique, plus elles se compromettront."
L’intégrité, l’empathie ou la générosité ne seraient donc pas des vertus féminines, comme certaines des femmes interviewées peuvent le penser?
"Lorsque je parle d’empathie, je dis bien aussi que les hommes la pratiquent. Si je cite ces femmes-là, je ne cautionne pas nécessairement ce qu’elles disent. Moi je pense que dans le rôle social de femme, on a beaucoup plus insisté sur l’empathie que le contraire, il est donc logique qu’elles charrient cette valeur-là, mais ça ne veut pas dire qu’elles y adhèrent. Sarah Palin en est un bon exemple, avec son enfant handicapé, sa fille enceinte. Elle met en scène cette valeur empathique, tout comme un homme mettra en valeur le goût du risque ou le courage."
Vous soulevez la question des quotas, en citant certains pays pas toujours exemplaires en matière de droits de la femme.
"Des pays comme le Rwanda, l’Afrique du Sud, l’Angola, la Tunisie, lorsqu’ils sortent de conflits importants et réécrivent leur Constitution, y intègrent la nécessité de la parité pour avoir une représentation politique égalitaire. Sur l’échiquier international, ils considèrent l’égalité comme diplomatiquement payante. Posons-nous la question: pourquoi? Les quotas, comme la proportionnelle, sont des outils pour parvenir à la parité, mais ça n’a rien de miraculeux. Cela dit, en écrivant ce livre, je ne m’étais pas donné de programme. Ce que je voulais surtout, c’était dire qu’il n’y a pas de pouvoir féminin mais qu’il y a un pouvoir des femmes. Les femmes ne font pas de la politique différemment parce qu’elles sont femmes, mais parce qu’elles appartiennent à un groupe. Ça change tout."
Les femmes en politique changent-elles le monde?
de Pascale Navarro
Éd. du Boréal, 2010, 120 p.
OUI, ELLES PEUVENT
Hillary Clinton, Ségolène Royal, Pauline Marois, Sarah Palin, Angela Merkel: ces femmes ont-elles en commun de pratiquer la politique différemment des hommes? À partir d’entrevues réalisées avec une vingtaine de politiciennes canadiennes, la journaliste Pascale Navarro livre sur le sujet une réflexion complexe, qui évite les écueils du traditionnel débat valeurs féminines versus valeurs masculines. Où l’on comprend que si les femmes ne changent pas la politique, elles changent le monde en endossant, parfois malgré elles, les causes féministes. Pascale Navarro signe un essai qui, s’il ne prétend pas être exhaustif, a le mérite de l’honnêteté intellectuelle: la réponse reste ouverte, le terrain, déblayé pour une réflexion identique à l’échelle du monde.