Charles Dantzig : Born to be Wilde
Société

Charles Dantzig : Born to be Wilde

Récemment de passage au Québec pour présenter son livre Pourquoi lire?, l’auteur et éditeur français Charles Dantzig pourfend Harry Potter et interroge Duras; parle retour de la morale et effort à consentir pour bien lire. Élitiste: et alors?

Voir: Vous avez édité L’Énigme du retour, de Dany Laferrière, et vous lancez en pleine rentrée littéraire parisienne le Bibi de Victor-Lévy Beaulieu. Quel regard portez-vous sur la littérature québécoise?

Charles Dantzig: "J’espère que je ne vais pas scandaliser le pays entier en disant ça, mais je m’en fous. La nationalité, c’est très bien, mais je n’ai pas de préjugés favorables ou défavorables parce que ce sont des Québécois. Au fond, ce serait une forme de condescendance et de discrimination positive. La littérature est au-delà de cela. Victor-Lévy Beaulieu, j’avais acheté son très bon essai sur Victor Hugo. J’avais aussi le souvenir de son Joyce [James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots] et de son Melville [Monsieur Melville]. Il m’a proposé Bibi, et il a eu raison parce que c’est très bon. J’ai donc décidé de l’éditer."

L’idée que la littérature ne change pas une vie (ni un homme) traverse votre livre. Pourquoi lire, donc?

"Parce que ça ne sert à rien. J’espère que mon livre est une ode à l’inutilité. La société reste régie par des gens qui ne veulent que du pouvoir, ou de la réussite, ou de l’argent. Mais pour lire, on rend hommage à une création de l’esprit, on baisse la tête dans un monde où tout le monde lève la tête. Il y a autre chose que des considérations pratiques dans la vie. […] Je pense que la littérature est une muette, mais puisqu’elle utilise des mots, les gens pensent que ça parle. Ils pensent donc que ça doit donner des idées. Or, très accessoirement la littérature donne des idées, ça ne sert pas à ça du tout. Un bon livre, c’est un objet fini, sculpté qui vaut par sa forme. Les vrais sujets des bons livres, c’est leur forme."

Pourtant, l’objet d’un livre peut être aujourd’hui primordial dans un contexte, dites-vous, de retour de l’ordre moral dans le champ artistique.

"Depuis plusieurs années, il y a un envahissement par la morale de la sphère esthétique qui est stupéfiant, on n’avait pas vu ça depuis la reine Victoria. J’ai vu dans un journal français un romancier de la rentrée dire: "Le roman doit être du côté du bien." Les bras m’en tombent! Le roman ne doit être ni du côté du bien ni du côté du mal, le roman est du côté du roman."

De bons livres, ce sont aussi de bons lecteurs?

"J’ai été très longtemps irrité par l’oeuvre de Marguerite Duras, et j’explique pourquoi dans le livre. À l’époque de son triomphe, j’avais 16 ou 17 ans et c’est la période où elle est devenue folle. Elle pontifiait à propos de tout à la télévision, elle se rendait elle-même ridicule; dans les raisons objectives de ma détestation, il n’y avait pas seulement ses livres. On aime ou on n’aime pas un écrivain à cause de ça, et on a tort. Mais le lecteur admet très rarement sa responsabilité quand c’est mauvais. Ce livre s’oppose à l’idée de la passivité du lecteur."

Lire, ça se mérite?

"Les gens se défoncent pour le boulot, des sportifs suent des piscines pour aller plus vite que les autres, et là, l’effort est admirable. Mais quand il s’agit de lire, c’est scandaleux. Ça veut dire qu’on considère la lecture comme une distraction, je veux me distraire, qu’on ne vienne pas m’emmerder. Mallarmé est un poète compliqué, et c’est un immense poète qui n’est pas accessible à la première lecture. Et alors? Je dois faire un effort et cet effort me rendra plus intelligent, j’aurai lu un grand livre. En ce sens, les lecteurs de poésie sont sans doute les plus raffinés. Prenez le vers de Jean Cocteau: "Vitrier sur ton dos, la ville est ivre morte". Il me faudra neuf phrases en prose pour expliquer de quoi parle Cocteau. Le résultat de toute bonne littérature, c’est de la poésie. À la recherche du temps perdu, c’est de la poésie. Les mémoires de Tocqueville, c’est de la poésie."

Harry Potter, par contre…

"Les vertus d’Harry Potter sont égales à zéro, l’idée même d’une littérature post-ado ou pré-adulte me scandalise: on considère les jeunes comme un troupeau uniforme, tous plus ou moins crétins, et vers lesquels il faudrait condescendre à avoir un langage un peu demeuré et un type d’histoire compréhensible. La meilleure façon de faire lire les jeunes, c’est de leur dire que lire c’est merveilleux, parfois compliqué, et que l’élitisme, c’est bien."

Pourquoi lire?
de Charles Dantzig
Éd. Grasset, 2010, 256 p.

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TRAJECTOIRE

– Romancier, poète, essayiste, Charles Dantzig est notamment l’auteur de l’Encyclopédie capricieuse du tout et du rien (prix Duménil 2009).

– Son dernier essai, Pourquoi lire?, vient de paraître au Québec.

– Éditeur (Les Belles Lettres, puis Grasset), il a notamment publié en France L’Énigme du retour, de Dany Laferrière, ainsi que Bibi, de Victor-Lévy Beaulieu.