Jean-Sébastien Trudel : Le vert dans la pomme
Wal-Mart est un modèle de développement durable et les vertus du recyclage sont un mythe: en publiant Le Grand Mensonge vert, Jean-Sébastien Trudel contribue à resserrer le discours écolo et souligne du même coup les limites de l’action individuelle.
C’était trop simple: on pensait pouvoir sauver le monde en imprimant sur du papier recyclé, en s’abonnant à la facturation en ligne, en s’éclairant avec des ampoules fluocompactes avant d’aller magasiner local des produits biodégradables. Que nenni! Le papier recyclé serait moins vert que les papiers vierges certifiés par FSC, l’ampoule fluocompacte nous ferait consommer plus de chauffage que la bonne vieille ampoule incandescente et le bilan carbone d’un produit ne se mesurerait pas à la distance qui sépare le lieu de production du lieu d’achat. Quant à savoir si l’objet acheté sera biodégradable dans 10 ou 400 ans, difficile de se fier aux étiquettes. Avec les meilleures intentions du monde le consommateur moyen se serait donc fourvoyé, trompé par son manque de connaissances quand ce ne serait pas par les arguments fallacieux d’entreprises peu scrupuleuses.
Le Grand Mensonge vert donne immédiatement le ton: l’essai à saveur polémique, signé Jean-Sébastien Trudel, fondateur de la firme d’experts-conseils en développement durable Ellipsos, jette un pavé dans la mare du consensus écologique. L’auteur y dénonce tout à la fois l’ultra-simplisme des gestes dits "verts" et le greenwashing, l’utilisation outrancière des arguments et slogans écologiques dans le jargon marketing des entreprises, avant de donner des pistes pour "acheter moins idiot". Et d’écrire tout de go en introduction du livre: "On m’a averti: n’écris pas ce livre (…) Tu risques de déculpabiliser et de confondre le monde."
Faux labels, imprécisions, fautes de preuves
Le discours vert se complexifie. En témoigne la quantité de livres parus récemment pour nous aider à y voir plus clair et à agir en conséquence. Avec en sous-titre l’idée que l’action individuelle est un peu dépassée par rapport aux enjeux collectifs. Un leitmotiv pour la maison d’édition Écosociété, qui vient de publier Planète jetable, enquête-fleuve d’Annie Leonard, et Manuel de transition, de la dépendance au pétrole à la résilience locale, ou comment agir collectivement pour sortir du tout pétrole, de Rob Hopkins. "Nos livres ont toujours été basés sur l’idée de la transformation sociale comme mode de changement écologique, explique Élodie Comtois, éditrice. Ces deux-là sont dans la même lignée, le premier parce qu’il fustige la poursuite de la croissance, le deuxième parce qu’il met en évidence la nécessité de se regrouper pour faire changer les choses, en incluant par exemple les autorités municipales. On parle d’un changement culturel et politique, où le bien commun serait au centre des priorités sociales."
Dans cette logique, les entreprises et la recherche du profit à grands coups de slogans verts n’ont pas la cote: utilisation de faux labels, imprécisions, fautes de preuves, dans son ouvrage, Jean-Sébastien Trudel en appelle à la "transparence radicale" pour changer le monde. Une vision très critique que ne partage pas Daniel Normandin, directeur exécutif du CIRAIG (Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services): "Il reste encore beaucoup de chemin à faire, mais si à une époque les entreprises se contentaient de répondre à la réglementation, aujourd’hui elles sont passées à une approche proactive." Et de tempérer l’idée selon laquelle le consommateur ne peut pas se fier aux descriptifs des produits: "L’info circule très vite aujourd’hui, les jeunes sont bien renseignés et les entreprises qui ont abusé des arguments verts ont été ébranlées, comme Lululemon, Nike ou Gildan."
Si Daniel Normandin croit qu’une partie de la solution réside dans la responsabilité élargie du producteur, autrement dit l’obligation pour le fabricant de gérer le cycle de vie du produit d’un bout à l’autre, il reconnaît tout de même que cette solution nécessite un encadrement, et admet que des abus ont été commis "faute de lois qui obligent les entreprises à bien communiquer": "C’est vrai qu’il y a encore beaucoup de mensonges, mais ça n’est pas toujours intentionnel", précise-t-il. "Les produits verts, ça n’existe pas, même les produits bio ou organiques ont un impact sur l’environnement, mais il ne faut pas pour autant tomber dans la provocation ou le discours sur la non-consommation. Le défi consiste à simplifier l’info pour la rendre digeste aux yeux du consommateur."
À lire cette semaine dans notre section jepenseque.voir.ca, un texte exclusif de Jean-Sébastien Trudel.
Le Grand Mensonge vert
de Jean-Sébastien Trudel, avec Kathy Noël
Éd. Transcontinental, 2010, 140 p.
Planète jetable
d’Annie Leonard
Éd. Écosociété, 2010, 335 p.
Manuel de transition, de la dépendance au pétrole à la résilience locale
de Rob Hopkins
Éd. Écosociété, 2010, 195 p.