Les artistes québécois se sont engagés : 2010: année polémique
Musique

Les artistes québécois se sont engagés : 2010: année polémique

Ils ont défendu avec ardeur la notion de droit d’auteur, ils ont crié leur refus de voir nos ressources naturelles exploitées sans précaution, ils ont joué les David devant les Goliath médiatiques… En 2010, les artistes québécois se sont engagés. Sept d’entre eux nous parlent de la cause qu’ils ont épousée, mais aussi d’engagement dans une perspective plus large.

Exploitation du gaz de schiste
par Laurence Leboeuf

Avec une vingtaine d’autres artistes, elle a participé au tournage de la vidéo qui circule sous le titre Gaz de schiste: Wo!, imaginée par Dominic Champagne. Celle qui remportait le prix Gémeaux 2010 de la meilleure actrice dans une série dramatique (Musée Eden) entend bien, et cette fois-ci ne sera pas la dernière, faire entendre sa voix.

"Ce dossier nous concerne tous. Il s’agit de notre environnement, de notre territoire, de notre nappe phréatique. De notre air, de notre eau. Je trouve l’attitude du gouvernement dans ce dossier très irrespectueuse de la population. Ça me choque de voir des gens en situation de pouvoir abuser de leur pouvoir, justement, s’installer dans la cour des gens et perturber éventuellement la faune et la flore du Québec. Je me sens insultée.

Quand Dominic Champagne m’a contactée pour que je participe à la vidéo, j’étais déjà sensible à la question mais j’en savais encore peu. Depuis, je me suis beaucoup informée, et plus j’en sais, plus je suis insultée.

Comment faire abstraction de ce qui se passe en Pennsylvanie, où des gens commencent à être malades, où, à certains endroits, l’eau du robinet est grise? Quand elle ne s’enflamme pas, comme on le voit dans le documentaire Gasland, de Josh Fox.

L’idée, ce n’est pas d’être contre pour être contre. Évidemment qu’il y a un potentiel économique, mais un moratoire sur la question s’impose. Dans l’État de New York, on l’a fait. Ici, on nous dit de ne pas nous inquiéter, qu’on va tester au fur et à mesure. Ben oui, testons sur nos terres!

Toute cette affaire m’a poussée à réfléchir à la notion d’engagement. Plus ça va, plus je réalise qu’en tant qu’artiste, on a l’opportunité d’avoir une voix médiatique. C’est un cadeau. Je n’irais pas jusqu’à dire que l’engagement est une obligation pour ceux qui ont cette voix, mais l’impact peut être important; on peut contribuer à porter un message partagé par beaucoup de monde. J’ai choisi de le faire."

Immobilisme politique
par Louis Morissette

Cette année, le concepteur du Bye Bye aura plus que jamais livré le fond de sa pensée sur les sujets chauds de l’heure. On se souviendra longtemps de sa montée de lait, sur le plateau de Tout le monde en parle, devant un Jean Charest immobiliste et entêté, en outre dans le dossier de la construction.

"J’ai toujours considéré que les artistes, en prenant position, redevenaient d’abord citoyens. Je ne fais pas de différence entre l’artiste engagé et quiconque d’engagé dans la société. En général, quand davantage d’artistes s’expriment sur leurs positions politiques ou économiques, la population aussi est plus préoccupée par ces questions-là. 2010 a été une année vraiment merdique pour les citoyens en général, nos dirigeants font preuve d’un manque de respect profond envers les électeurs… Nous étions tous déjà un peu cyniques face à eux, ils n’ont pas aidé leur cause.

Sur le plateau de Tout le monde en parle, c’est le citoyen qui s’est exprimé: je ne peux pas concevoir que Jean Charest fasse totalement abstraction de ce que la population pense dans le dossier de la construction et des allégations de corruption. TOUT le monde veut une enquête publique. Même chose pour le gaz de schiste. TOUT le monde veut un moratoire avant que ne débute l’exploitation. Comment peut-il rester sourd devant cette réalité? Pour moi, il n’y a que deux manières d’expliquer ce comportement. Soit il protège des gens, soit il s’est fait promettre des choses et on va tout comprendre le jour où il ne sera plus premier ministre…

Je sais que mon intervention a eu un impact, on m’en parle beaucoup, mais honnêtement, quand je réécoute l’émission, je me dis que j’aurais pu être encore plus cinglant, plus éloquent. Il faut dire que Jean Charest est habile. Il m’a gentiment fermé la trappe, en me tutoyant évidemment.

Pour être honnête, je ne trouve pas que je m’implique suffisamment, comme Québécois. Je suis un peu cynique quant à l’impact réel, en fait. Je crois le pouvoir des artistes négligeable. L’artiste qui s’exprime va conforter dans leurs opinions ceux qui pensaient déjà la même chose, mais je doute qu’il amène les autres à changer d’idée. J’espère me tromper.

Il faut avoir les couilles pour le faire, aussi. En tant qu’acteur, par exemple, tu veux rallier le plus de gens possible, tu veux te faire dire que t’es beau, que t’es belle. Mais du moment que tu t’exprimes sur un sujet sensible, tu segmentes l’auditoire.

J’ai choisi ce métier-là pour la liberté qu’il me donne, liberté d’expression et de création. Je ne vais pas me priver de ça pour plaire à tout le monde!"

Loi C-32
par Florence K

Ils sont nombreux à avoir exigé du gouvernement une révision en profondeur du projet de loi C-32. Parmi eux, Florence K, qui a fait preuve ces dernières semaines d’un discours particulièrement articulé sur la question.

"Depuis que le débat autour du projet de loi C-32 est lancé, le gouvernement conservateur énonce haut et fort que les artistes et l’opposition réclament une "taxe sur les iPod".

Or, nous les artistes sommes probablement les derniers à vouloir taxer la population… Ce que nous réclamons: le droit au créateur d’une oeuvre, qu’elle soit musicale, littéraire ou visuelle, de recevoir une compensation – des sous – lorsque son travail est copié.

En fait, ce débat, depuis le début, remet en question un principe de base acquis depuis longtemps, celui du droit d’auteur.

Car la musique, celle que l’on aime et que l’on chérit, celle qui accompagne nos mariages, nos voyages, notre première danse, notre première nuit d’amour, nos films fétiches, cette musique-là qui rend légers nos moments difficiles, cette musique qui nous berce depuis que nous sommes enfants, celle-là même qui nous fait rêver… Eh bien, cette musique, elle a un coût, tout comme le vin, les fringues, une chambre d’hôtel, un voyage, une voiture et j’en passe.

Nous, les artistes, faisons partie d’une industrie et nous en sommes en fait l’essence dans tous les sens du terme… Grâce à nous, il y a des producteurs, des tourneurs, des musiciens, des techniciens, des radiodiffuseurs, des fournisseurs d’Internet, des câblodistributeurs, des iTunes, des iPod, des salles de spectacles, des dames au guichet qui vendent des billets, grâce à nous, tout ça existe…

Alors si finalement on coupe nos droits, petit à petit, lentement, insidieusement… peut-être qu’un jour on aura un monde sans musique… Imaginez juste une seconde…

Lorsque je marchais dans les longs corridors du parlement à Ottawa le mois dernier, à la rencontre de députés qui pourraient appuyer notre cause, je me disais que nous nous heurtions à des murs et j’étais découragée. Et je pensais au combat de toutes ces causes, dont la plupart ne sont jamais ni entendues ni écoutées… on est bien mal barrés…

Allez, bonne année quand même! Et dansez pour oublier tout ça… sur des musiques de Noël."

Projet Noise
par Ghislain Poirier

En plus d’envoyer des lettres publiques au maire Gérald Tremblay pour demander que les salles de concert au coeur du Quartier des spectacles n’aient pas à baisser le son après 23 h, le DJ et producteur Ghislain Poirier s’est frotté cette année au maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, à propos du projet Noise permettant à l’arrondissement de remettre des amendes salées aux salles de concert et bars jugés trop bruyants.

"Même si beaucoup de gens du milieu m’ont manifesté personnellement leur soutien, je retiens que presque aucun artiste n’a levé la voix à ce sujet, et que l’establishment culturel québécois est resté muet dans sa coquille, comme si le problème n’existait pas.

Je risque bien de monter encore au front pour ce débat s’il le faut. Je tiens à ma ville, à la culture qu’elle héberge, à la culture qu’elle projette sur sa population et à la culture qu’elle diffuse à l’étranger. Une fois plongé au coeur du débat, je sentais non seulement que ma voix était entendue par les médias et la mairie, mais que ma voix permettait à d’autres personnes dans le milieu de prendre position et de se faire entendre. De voir que je n’étais pas le seul à penser ainsi et de participer à la formation d’une sorte de coalition officieuse était vraiment encourageant et motivant.

Malgré les efforts, le projet Noise n’a pas changé ses mesures répressives. Par contre, la pluie d’amendes n’a pas eu lieu, même si quelques-unes ont été distribuées. Donc, peut-être que les gens du milieu se sont suffisamment fait entendre pour stopper l’hémorragie momentanément. Mais au final, la menace d’une première amende à 1000 $ et d’une troisième amende à 12 000 $ plane toujours… J’ai trouvé contradictoire et effronté que la mairie prétende instaurer un dialogue avec son projet Noise, alors que ce dialogue s’est amorcé avec une hausse de 1200 % du prix des contraventions. On a déjà vu mieux comme dialogue.

Pour 2011, il faudra garder Ferrandez à l’oeil et voir s’il a réellement entamé un dialogue avec les gens du milieu. S’il applique une tactique de laisser le temps éteindre la clameur, il faudra de nouveau se faire entendre pour lui raviver la mémoire."

Soutien politique au milieu culturel
par Martin Faucher

Metteur en scène depuis le début des années 80, président du Conseil québécois du théâtre de 2005 à 2009, Martin Faucher n’a jamais hésité à prendre la parole, à dénoncer, à s’indigner. Après avoir dit haut et fort que le milieu théâtral québécois était consensuel et soumis aux diktats de la rentabilité, le metteur en scène dénonce ici un Canada où les "valeurs qui feraient de nous des citoyens meilleurs sont constamment malmenées, menacées".

"Le Canada de 2010, ce pays qui n’est pas tout à fait le mien, va mal, très mal. Dans ce pays riche et soi-disant moderne, la démocratie, la justice, l’ouverture d’esprit, le partage, le respect de la nature, la défense des minorités et de ce qui est différent, toutes des valeurs qui feraient de nous des citoyens meilleurs, sont constamment malmenés, menacés. C’est dans un contexte malheureux comme celui que nous subissons depuis de trop longues années que l’art du théâtre, un théâtre qui place à l’avant-plan les idées, la beauté et la poésie, devient absolument nécessaire car il permet la lumière, l’intelligence et l’espoir.

Mais ça y est, nous y sommes! En pleine droite! En plein régime où règne la peur sourde d’un pouvoir inculte, ignorant, démagogue, manipulateur, sournois, hypocrite, borné et parfois brutal. En plein chialez pas trop fort parce que sinon, on va vous les couper, vos subventions! En plein avec la crise économique qui sévit partout en Europe et où l’on coupe allégrement dans les arts et la culture, considérez-vous ben chanceux qu’on l’ait pas déjà coupé, votre Conseil des Arts! Même si c’est d’une broutille, on l’a quand même augmenté, son budget! Même que vous m’avez pas vu la semaine passée en pleines pages des journaux vous garrocher en souriant des poignées de cennes noires en laissant entendre à la population canadienne que c’est des T-bones que je vous lançais! Même qu’on n’arrête pas de les rénover, vos théâtres! De quoi vous plaignez-vous encore et toujours, gens de thiâtre? Remplissez-les, vos salles, pis jouez! Pis pour le reste, l’art avec un grand A, voulez-vous ben me sacrer patience avec ça!

Quand je vois un ministre habile comme James Moore rire de moi en pleine face lorsqu’il dit sur toutes les tribunes que son gouvernement est celui qui a fait le plus pour les artistes alors qu’il met le cadenas sur les tournées internationales de ces mêmes artistes, qu’il piétine le droit des auteurs dramatiques, qu’il laisse le Conseil des Arts dans une indigence honteuse et qu’il dicte ses lois et humeurs au ministère du Patrimoine canadien, moi j’enrage. Je pense à Donatien Marcassilar, le poète révolté de L’asile de la pureté de Claude Gauvreau et je fais mienne cette réplique: Je refuse la déchéance des ailes cassées!"

Reconstruction d’Haïti
par Luck Mervil

Luck Mervil vit entre le Québec et Haïti où il travaille d’arrache-pied pour la fondation Vilaj Vilaj. Il critique les actions des ONG sur le terrain et met sa vie en péril au nom de l’humanité.

"Vous devriez voir la gueule des journalistes haïtiens lorsque je donne des conférences de presse là-bas. Je commence toujours en les regardant droit dans les yeux et en leur témoignant de ce qu’on dit à l’international sur leur peuple. "Vous êtes corrompus, malpropres, incapables de vous gouverner…" Je demande ensuite à ceux qui croient ces reproches de lever la main. À tout coup, ils sont quelques-uns dans la salle. Je leur réponds que "c’est faux, que tous les peuples sont corrompus, et que pour reconstruire Haïti, il faut changer cette mentalité fortement ancrée. Et si les grands organismes humanitaires vous construisaient des maisons avec toilettes, votre problème de salubrité serait réglé".

Ce qui me fâche aujourd’hui en Haïti, ce n’est pas la campagne présidentielle, la politique ne m’intéresse pas, mais bien l’inefficacité des ONG qui, en 50 ans d’histoire, ne se sont jamais approchées de leur but: éradiquer la pauvreté. Je sais que leurs intentions sont bonnes, mais les moyens d’y arriver ne fonctionnent pas. À quoi ça sert de construire des habitations bonnes pour trois ans seulement et dans lesquelles on ne construit pas de toilettes? Ce ne sont que des solutions à court terme. Comme lorsqu’on construit un nouvel orphelinat. Oui, bravo, 150 enfants vivront dans de meilleures conditions, mais ces enfants ne sont pas orphelins. Ils ont des parents, mais ces derniers sont incapables de subvenir à leurs besoins. Pourquoi ne pas investir pour donner du travail à ces parents? Et je ne parle pas d’une autre plantation de bananes, mais d’emplois qui créeront des infrastructures. C’est simple, les milliards amassés à la suite du tremblement de terre doivent être investis dans l’humain pour être garants de l’avenir. Un peuple doit pouvoir se nourrir, avoir un toit et rêver à l’avenir.

C’est ce que nous essayons de faire avec Vilaj Vilaj qui cherche à construire de nouveaux villages autosuffisants. Des villages où les emplois des habitants permettront d’assurer l’autonomie de l’endroit. Là-bas, tout est à reconstruire, pourquoi ne pas essayer un nouveau modèle de développement? Notre philosophie ne plaît pas aux gens qui s’enrichissent avec le modèle actuel, on me dit que je suis parfois en danger dans les rues de Port-au-Prince, mais c’est plus fort que moi. Je dois le faire même si ça met ma carrière de chanteur en veilleuse."

Soutien aux employés du Journal de Montréal
Gil Courtemanche

Le 23 novembre, il demandait que l’on retire son nom de la liste des finalistes des Grands Prix littéraires Archambault. Une façon pour lui d’être solidaire des lock-outés du Journal de Montréal. Invité à participer à notre dossier, Gil Courtemanche en profite pour revenir sur la notion d’engagement, et relativiser celui des artistes d’ici.

"Depuis très longtemps, je suis critique de la mainmise de Quebecor sur l’information au Québec. Durant le conflit au Journal de Québec, et dès le début de celui au Journal de Montréal, qui au fond se ressemblent, j’ai écrit dans Le Devoir, très régulièrement, mon indignation devant le comportement de Pierre Karl Péladeau. L’association Archambault-Quebecor-Journal de Montréal étant claire, poser ce geste s’inscrivait, pour moi, dans une sorte de continuité naturelle.

J’avais déjà été en nomination, pour Une belle mort. Mais il n’y avait alors aucun conflit de travail, alors j’étais demeuré en lice. Cette fois, j’ai refusé. Le projet initial, en fait, projet bien illusoire, c’était de convaincre une majorité d’écrivains de mettre sur pied un prix "Rue Frontenac", un prix concurrent, donc. Mais ça n’a pas fonctionné, alors je me suis résigné à agir seul! Je ne suis pas un mouvement de protestation à moi tout seul, mais ce que je peux faire, je le fais.

On dit souvent qu’on a les politiciens qu’on mérite. Eh bien je me demande si, au Québec, on n’a pas en quelque sorte les artistes qu’on mérite. Vous me dites qu’ils se sont engagés beaucoup cette année, je veux bien vous croire, mais il y a engagement et engagement. Lutter contre les dispositions de la loi C-32, contre les coupes dans les subventions en culture, c’est louable, mais ce sont là des engagements égoïstes. Les artistes sont directement touchés.

Se préoccuper de l’exploitation du gaz de schiste, c’est bien, mais ici on parle d’un sujet qui préoccupe tout le monde. Je dirais que les artistes suivent le mouvement, simplement. Et moi qui ai tendance à exiger beaucoup d’eux, je trouve qu’ils sont très peu engagés dans ce que j’appellerais le combat quotidien de construire la société. Ils sont peu impliqués dans la politique municipale, par exemple. La question de l’indépendance québécoise en a amené plusieurs à se prononcer, mais les conflits collectifs, les batailles syndicales, ils ne sont pas habitués à ça.

Au Québec, il n’y a pas encore de grande tradition contemporaine d’engagement. L’engagement, c’est une gymnastique, vous savez, il faut en faire tous les jours!"