Les communications numériques : Culture numérique: mythes et réalités
Société

Les communications numériques : Culture numérique: mythes et réalités

Le marketing et l’art les ont investies, elles ont transfiguré notre rapport à l’intime et jusqu’à nos identités. Les communications numériques et leur impact sur nos sociétés font (enfin) l’objet d’un ouvrage de référence francophone, Cultures du numérique. Pour en finir avec les clichés.

"Révolution Internet", "cyberculture", l’avènement des technologies de communication numériques a drainé nombre de formules extatiques. Autrement plus complexe en réalité, l’impact de ces nouvelles artères sur nos vies, notre rapport aux autres, notre structure de pensée et, plus avant, les structures mêmes de nos sociétés n’avait pas jusqu’à présent fait l’objet, côté francophone, d’un ouvrage de référence. C’est chose faite. La revue française Communications, fondée par Edgar Morin et Roland Barthes, se fend pour son 50e anniversaire d’un panorama complet de la question en 19 chapitres, 23 chercheurs et autant de pistes de réflexion, intitulé Cultures du numérique.

Pluriel, donc, pour un pensum bâti autour de l’idée de la pluralité de points de vue et d’expertises: "Nous voulions présenter toutes les facettes de la question, nous explique Antonio A. Casilli, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, qui a dirigé ce numéro spécial. La Culture avec un grand C, mais aussi tous les espaces où le numérique fait culture, comme les stratégies de communication, les jeux vidéo, le Net art, les réseaux sociaux ou l’édition en ligne."

L’idée: donner un ouvrage de référence aux futurs chercheurs, mais pas seulement. Nous aider aussi à nous défaire de poncifs tout droit sortis des années 90, une "phase utopiste très développée", dixit Casilli, qui en rajoute: "Révolution Internet, cyberculture, des formules creuses! À l’époque, il y avait une vraie polarisation entre cyberutopistes – les Californiens aux discours hyper positifs – et ceux qui adoptaient une posture critique – les Français, surtout. Cette polarisation a empêché l’émergence d’une véritable réflexion, et aujourd’hui on commence à avoir un ensemble de chercheurs qui, au-delà de la question de bien ou de mal, observent de quelle façon ces technologies reconfigurent notre réalité."

De l’intimité à l’"extimité"

À commencer par notre intimité qui, se proposant aux autres pour qu’ils la valident – notamment dans les réseaux sociaux -, devient "extimité", un concept développé par Serge Tisseron. Une manière de "construire une identité individuelle ou collective à travers la reconnaissance des autres", explique Casilli, qui insiste sur le fait que, contrairement à l’idée couramment répandue, les technologies numériques ne représentent pas une rupture radicale avec notre monde physique, mais s’inscrivent dans notre réalité: "Autre mythe, la notion de digital natives, inventée par Marc Prensky au début des années 2000, selon laquelle une nouvelle génération était naturellement prédisposée pour les usages informatiques. On observe là encore, au contraire, la prolongation d’une tendance déjà existante: l’exaltation de la jeunesse et la mise à l’écart de l’âge adulte. En fait, et c’est ce que constate Claire Lobet-Maris, cette idée cache un ensemble d’inégalités et de déséquilibres entre les générations, une sorte de fracture numérique par l’âge."

Dans des domaines comme l’édition, le numérique a réellement changé la donne: "L’édition privée a créé artificiellement des barrières à l’accès à l’information. De ce point de vue, l’édition numérique ne se limite pas à la numérisation des livres, comme le pratiquent des institutions publiques ou privées comme Google Books, mais entraîne un véritable changement de paradigmes, arrive avec un réseau, un ensemble d’outils pour dépasser le livre en tant que texte et le transformer en source de données."

Un changement profond auquel se greffe la question de la propriété intellectuelle: "Les forces en présence ont changé, les tensions sont différentes. Or, lors du dernier G8 à Paris, on a vu le gouvernement français mettre en place une économie d’Internet en choisissant chez les patrons d’industries ceux qui allaient devenir des interlocuteurs privilégiés, et en excluant la société civile, les utilisateurs, les associations ou l’usage militant de l’outil. À l’heure où le politique s’invite dans le numérique, il est plus que jamais primordial de bien analyser ces phénomènes."

Cultures du numérique – Communications no 88
dirigé par Antonio A. Casilli
Éd. du Seuil, 2011