Catherine Voyer-Léger : Art francophone: loin des yeux, loin du coeur?
La fin de semaine passée, 200 artistes et travailleurs culturels marginaux se sont rencontrés à Ottawa pour échanger sur leur pratique artistique. Leur point commun: être francophone dans un pays dominé par l’anglais.
La profession d’artiste est en soi une vocation marginale. Créer en français dans une province canadienne l’est encore plus. Appelés "francophones hors Québec" (avec tout ce que l’expression comporte d’inélégance) ou "Canadiens français", ces artistes doivent composer avec des publics restreints, hétéroclites, et se désolent de ne pas trouver au Québec l’appui et la réceptivité qu’une langue partagée peut offrir.
Pourtant, les besoins des créateurs sont les mêmes partout au pays. Catherine Voyer-Léger, de la Fédération culturelle canadienne-française qui organisait le forum "Être artiste dans la francophonie canadienne", le confirme. "Bien sûr, il a été question de financement, mais il y a une volonté d’aller au-delà des revendications financières pour revenir au coeur de l’action, à la parole artistique." Les artistes ont besoin de s’organiser en réseaux et d’accéder au public. Malheureusement, le Québec n’ouvre pas facilement les bras. "Herménégilde Chiasson, qui est un auteur incontournable au Nouveau-Brunswick, raconte qu’il ne trouve pas ses livres dans les librairies québécoises. Et quand il les trouve, ils sont dans la section littérature étrangère!" Les obstacles sont aussi légaux. "C’est très bien qu’une loi protège le livre québécois, mais certains auteurs canadiens-français se sentent comme s’ils étaient de méchants envahisseurs!"
Pour tempérer le ressentiment à l’égard du Québec, le forum a misé sur la présence d’artistes québécois installés en région. Qu’on soit slameur à Moncton ou peintre à Malartic, ça reste la même dynamique centre vs périphérie, c’est le même rêve de toucher le centre pour élargir son public. Quelques "stars" y parviennent, mais pour un Damien Robitaille ou une Marie-Jo Thério, on compte des centaines, sinon des milliers de créateurs de l’ombre "protégés de l’impératif de la rentabilité" et jouissant d’une liberté créatrice qui se nourrit le plus souvent d’amour et d’eau fraîche.
Le forum a aussi été l’occasion de réaffirmer le rôle des institutions dans la diffusion de la culture. Les écoles sont les plus grands acheteurs de livres et Radio-Canada a le pouvoir de promouvoir les artistes au-delà des frontières provinciales. Ces acteurs jouent un rôle vital pour la survivance de l’art francophone. Mais attention, prévient Catherine Voyer-Léger, il ne faut pas tomber dans un piège folklorisant. "Ce n’est pas parce que le français est menacé qu’on doit considérer l’art francophone de manière uniquement patrimoniale ou folklorique." Les artistes revendiquent leur droit à la contemporanéité.
En conclusion du forum, les artistes ont adopté plusieurs recommandations qui seront portées sur la place publique. Certaines s’adressent aux décideurs, d’autres au public, et il s’en trouve même qui interpellent les artistes eux-mêmes. Un document qui intéressera certainement Sun News et Nathalie Elgrably. Et nous?