Théâtre du Nouveau Monde : 60 ans de théâtre dans la cité
Société

Théâtre du Nouveau Monde : 60 ans de théâtre dans la cité

Phare ou miroir de la société, le Théâtre du Nouveau Monde a suivi de près les grandes mutations du Québec, ayant été tour à tour le détonateur ou l’écho du coeur de la société battant au rythme de ses révolutions, ses rêves et ses tempêtes sociales, culturelles et politiques.

Six décennies pour une histoire jeune comme la nôtre, c’est considérable. Né en 1951, à une époque où le Québec surnageait en eau bénite entre une morale puritaine et une vie culturelle encadrée par la censure, le TNM a depuis six décennies vu naître bien des rêves et tomber de nombreuses cloisons. Cinquième directrice de l’institution avec laquelle seul le Rideau Vert au Québec rivalise en termes de longévité, Lorraine Pintal récolte la palme du plus long mandat de son histoire, entamant en 2012 sa 20e année au sein de la compagnie. Avant elle, Jean Gascon, Jean-Louis Roux, André Pagé et Olivier Reichenbach ont dirigé le théâtre intimement lié à la société québécoise.

L’homme libéré

La fondation du TNM marque les débuts d’un véritable théâtre professionnel au Québec, avec son école et ses tournées à l’étranger, mais aussi l’inauguration d’une tribune pour les artistes en manque d’espace de liberté. Dans la foulée du mouvement automatiste, une pièce hautement subversive provoquera la controverse en 1972. "Les oranges sont vertes de Claude Gauvreau débordait le cadre culturel, raconte Pintal, parlant de la censure religieuse et politique sur l’expression des artistes. Ça a vraiment bousculé. Il faut rendre justice à Jean-Pierre Ronfard et Jean-Louis Roux qui ont créé l’événement. Le TNM suivait le vent de liberté qui soufflait sur la sexualité. Les salles étaient pleines de jeunes, ça contestait, ça criait. Il y avait une révolution dans la salle." Que le TNM ait suivi ou précédé ce mouvement de liberté, on convient qu’il marchait de pair avec les préoccupations de son temps. Une autre création collective de Ronfard dans laquelle Carole Laure faisait ses premiers pas fit du bruit. "Gens de Noël, tremblez était une pièce osée pour l’époque. Il y avait là aussi une expression de la sexualité et de la liberté des femmes qui faisaient éclater les cordons du corset."

En pleine crise d’Octobre, le TNM se retrouvera aussi au coeur de la polémique avec la représentation de Jeux de massacre d’Ionesco, une pièce contestataire qui fait le procès des régimes d’oppression. "Sans que le TNM ne l’ait prémédité, il y avait là un miroir qui était offert à ce qui se passait dans les rues montréalaises. Un message avait d’ailleurs été placé à l’entrée du Théâtre Port-Royal où le TNM jouait la pièce. Les dissidents avaient choisi ce lieu pour passer leur message. La mouvance de Mai 68, des grandes révolutions et des manifestations contre la guerre au Vietnam prenait forme par le biais de personnages sur la scène du TNM."

Les femmes et la justice

Véritable fer de lance des mouvements d’émancipation, le TNM sera aussi des premières manifestations féministes. "Jean-Louis Roux a donné la parole aux femmes avec La nef des sorcières (1976) et Les fées ont soif (1978), qui ont créé beaucoup de remous. En mettant en scène la Vierge Marie qui se déclare prostituée devant Dieu, en condamnant les femmes opprimées et le viol, Denise Boucher était très révolutionnaire." Les mouvements de censure et les plaintes contre la Ville de Montréal qui subventionnait un théâtre aussi séditieux le confirmèrent. "La cause est allée devant un juge. Il y avait des groupes de catholiques qui empêchaient les gens d’entrer en disant qu’on offensait Dieu et la Vierge Marie, raconte Pintal. C’est devenu un événement politique qui cristallisait la libération des femmes."

Plus récemment, on ne peut passer sous silence la polémique qui a agité le Québec autour de la possible participation de Bertrand Cantat aux tragédies de Sophocle montées par Wajdi Mouawad. Sorti de prison après avoir purgé sa peine à la suite du meurtre de sa compagne Marie Trintignant, Cantat a servi de symbole. "Ce qui a suivi, autant au niveau culturel, communautaire que social, les mouvements de protestation, les tribunes publiques, tout cela nous a fait voir à quel point notre rapport à la justice, à la réhabilitation et à la violence faite aux femmes n’est pas complètement assumé." Au-delà de la polémique parfois alimentée par certains agitateurs, la proposition du TNM aura permis une riche discussion. "Ce qui est étonnant, c’est que je ne pense pas que le TNM ait jamais voulu provoquer ou se positionner au coeur des questionnements politiques. Ça s’est fait organiquement. Ça confirme que l’artiste dans une société peut être visionnaire et la faire avancer par son art, souvent précurseur de ses mutations. On ne peut pas remettre en question la place du théâtre dans la cité!"

Éveilleur de consciences, trublion à ses heures, le TNM a honoré pendant 60 ans la fonction vitale du théâtre, en constante interaction avec le politique.