Cinq figures marquantes de la culture d’ici : Rétroviseur
Cinq figures marquantes de la culture d’ici trinquent à la santé de votre hebdo préféré. Petit voyage dans le temps aux côtés de Perrine Leblanc, James Hyndman, Rémy Girard, Marie Chouinard et Yann Perreau.
JAMES HYNDMAN /
Qui étiez-vous en 1986?
« En 1986, je suis à Paris (j’y serai trois ans) où je suis étudiant en théâtre et, pour quelques mois encore, étudiant au doctorat en sciences politiques. En fait, c’est l’année où, à 24 ans, je choisis vraiment le théâtre… »
Qu’est-ce qui a changé (pour le mieux ou le pire) dans votre milieu depuis 25 ans?
« Le théâtre est devenu plus « multidisciplinaire ». La vidéo a eu un impact énorme. L’art contemporain – les arts visuels en tête -, le cinéma, la photographie, la danse: le théâtre absorbe et se nourrit de toutes ces pratiques, et les frontières ne sont plus aussi claires qu’elles l’étaient. Le langage change, se transforme, « évolue », mais une chose demeure: pour qu’il ait un sens, il faut une parole ou un regard incisif et personnel qui nous interpelle. »
Avez-vous un souvenir marquant lié à Voir?
« Quand j’arrive à Montréal en 1988, Voirest la référence absolue en matière de culture. Les couvertures, les articles, les artistes dont on parle: tout cela me semble si loin, si inaccessible. Quand je fais ma première couverture en 1994 (les nouvelles têtes), j’ai 32 ans, je suis passé proche de tout abandonner et je suis vraiment heureux et soulagé! »
Ces 25 dernières années, quel artiste vous a le plus marqué dans votre domaine?
« Mon travail avec Brigitte Haentjens a énormément compté, il m’a appris l’engagement, la patience, le risque. Avec Brigitte, le théâtre et la vie ne font qu’un. Le travail de Robert Lepage, sa façon de travailler, sa manière de s’inscrire dans la durée, de donner le temps au temps, le droit à l’erreur qu’il s’accorde, sa poésie: je suis sorti de chacune de ses créations ébloui, impressionné au sens littéral, stimulé. Chez les acteurs, Marc Béland et Sylvie Drapeau ont été les acteurs emblématiques, je dirais, de ces années-là. Des acteurs charnels, entiers, singuliers, charismatiques, totalement engagés, avec une manière toujours surprenante de s’approprier non seulement le texte, mais l’espace. »
REMY GIRARD /
Qui étiez-vous en 1986?
« C’est l’année où Le déclin de l’empire américain est sorti sur les écrans et où toute ma vie professionnelle a changé. C’est là que tout a démarré, c’est donc une très grosse année. Je n’étais pas connu et déjà que j’aie l’un des premiers rôles du film, c’était énorme. Par la suite, tout a déboulé pour moi, j’ai commencé à faire beaucoup de cinéma. Personne dans l’équipe, en lisant le scénario, qui était extraordinaire, n’avait prévu l’impact du Déclin. C’était un film particulier, novateur, mais personne n’avait prévu ce succès international… sauf peut-être René Malo, notre distributeur. »
Qu’est-ce qui a changé (pour le mieux ou le pire) dans votre milieu depuis 25 ans?
« L’adhésion du public au cinéma québécois. Aujourd’hui, on peut dire que le public québécois soutient son cinéma, va voir les films. Les Canadiens sont un peu jaloux de ce succès, car du côté du cinéma canadien, on n’a pas encore atteint cela, on n’a pas convaincu la population qu’on pouvait aussi faire de bons films. »
Avez-vous un souvenir marquant lié à Voir?
« Il y a une couverture que j’aime bien, celle d’Ubu roiavec Marie Tifo (ndlr: 12 avril 2007). Je me souviens qu’à la séance photo, on n’avait pas encore répété, on ne savait pas encore comment on allait jouer les personnages. En voyant la photo de Jean-François Bérubé, on s’est dit que dans l’expression, les costumes, la façon dont nous étions maquillés, il y avait quelque chose à cultiver. On retrouvait l’espèce de dangerosité des personnages et cela nous a beaucoup inspirés par la suite. »
Ces 25 dernières années, quel artiste vous a le plus marqué dans votre domaine?
« Il y en a beaucoup, mais sans contredit Denys Arcand, qui a marqué ma carrière. Avec le recul, je m’aperçois que chaque fois, surtout avec Les invasions barbares, notre collaboration a été riche. J’ai bien aimé aussi travailler avec Denis Villeneuve (Incendies)… mais ça ne veut pas dire qu’avec les autres, je n’ai pas aimé ça! »
MARIE CHOUINARD /
Qui étiez-vous en 1986?
« J’étais soliste et je faisais le tour du monde avec mes solos. C’est l’année où j’ai créé le solo S.T.A.B. (Space, Time and Beyond). J’étais nue, peinte en rouge et je travaillais les mouvements à partir des organes. Mon travail portait aussi sur la colonne vertébrale, et le gars qui faisait les costumes avait prolongé ma colonne avec une sorte de corne sur ma tête qui allongeait la ligne. J’avais un microphone sans fil qui me permettait de créer des sons en direct et des micros aux pieds, avec des souliers à plaquettes de métal. J’ai dansé ce solo au Monument-National en 1989, juste avant sa rénovation. »
Qu’est-ce qui a changé (pour le mieux ou le pire) dans votre milieu depuis 25 ans?
« La quantité de danseurs et de compagnies a augmenté de façon phénoménale. C’est extraordinaire tout ce qui se passe en ce moment en danse à Montréal, qui est devenue une capitale de la danse. Il y a de plus en plus de propositions et je trouve ça formidable. »
Avez-vous un souvenir marquant lié à Voir?
« Je me souviens que mon petit frère passait le Voir. C’était une de ses premières jobs. Avant Voir, je lisais Virus Montréal, et puis comme tout le monde je suis passée à Voir! »
Ces 25 dernières années, quel artiste vous a le plus marquée dans votre domaine?
« En danse, c’est William Forsythe, un chorégraphe américain établi en Allemagne. Chaque fois, je trouve son travail d’une grande intelligence, j’aime sa manière éclatante d’habiter l’espace. Parmi les Québécois, j’aime beaucoup le danseur Benoît Lachambre, son intégrité absolue, son authenticité. »
YANN PERREAU /
Qui étiez-vous en 1986?
« J’étais un jeune sportif de 10 ans. Je jouais au soccer en plus de participer à des camps de hockey l’été. L’automne, c’était le football, le hockey et beaucoup de cross-country. Pas de drogue ni de rock’n’roll encore, mais mes frères écoutaient beaucoup de musique, et j’ai demandé à ma mère de m’acheter une batterie. C’est d’ailleurs elle qui a organisé le premier concert de mon groupe l’année suivante dans le cadre d’une vente-trottoir à Berthier. Je chantais et je jouais du drumen même temps. »
Qu’est-ce qui a changé (pour le mieux ou le pire) dans votre milieu depuis 25 ans?
« J’aime voir l’effervescence de la scène francophone indépendante. Quand on regarde les années 70 ou 80, on ne retient que cinq ou six artistes marquants par décennie. Ça s’est amélioré dans les années 90, et aujourd’hui, l’offre est abondante et de qualité. Sinon, la baisse des ventes d’albums me semble le point négatif. C’est vrai qu’Internet aide beaucoup à la promotion des artistes, mais l’impact des échanges illégaux de fichiers crève les yeux. »
Avez-vous un souvenir marquant lié à Voir?
« J’ai été livreur de Voir pendant deux étés. Nous étions en équipes de deux, et c’est moi qui chauffais le truck. Je conduisais vite et bien. On était en forme. On travaillait vite. La distribution se faisait à bord de camions loués, et je me suis fait mettre dehors quand j’ai foncé dans une voiture en reculant le camion d’un collègue dans la cour du Via Route. C’était même pas de ma faute. Le gars qui me guidait dormait au gaz. »
Ces 25 dernières années, quel artiste vous a le plus marqué dans votre domaine?
« Richard Desjardins. Pour la dimension poétique de son oeuvre, son implication sociale et son intégrité. J’ai eu le coup de foudre à 15 ou 16 ans, lors d’un concert au St-Denis pour l’album Tu m’aimes-tu?. Il nous a aussi fait découvrir de nombreux poètes: lui-même, mais aussi Patrice Desbiens et Michel X Côté. »
PERRINE LEBLANC /
Qui étiez-vous en 1986?
« Une petite fille de six ans. »
Qu’est-ce qui a changé (pour le mieux ou le pire) dans votre milieu depuis 25 ans?
« Je ne peux pas, en quelques phrases, faire à la fois l’inventaire et l’analyse cohérente des changements survenus dans le milieu littéraire depuis un quart de siècle. Je dirai simplement que j’achète beaucoup de livres en librairie et que j’en emprunte régulièrement à la Grande Bibliothèque, mais plusieurs de mes amis, parmi lesquels des auteurs, des éditeurs, des traducteurs et des représentants, ont déjà intégré dans leurs habitudes de lecture le livre numérique, et c’est très bien. J’aime croire, cependant, que ce qui est fort et précieux résistera.
Avez-vous un souvenir marquant lié à Voir?
« La poète Kim Doré à la une du journal et, bien sûr, ma première entrevue à Voir. »
Ces 25 dernières années, quel artiste vous a le plus marquée dans votre domaine?
« J’ai écrit en 2005 un mémoire de maîtrise sur L’empreinte de l’ange de Nancy Huston, dont j’ai lu tous les livres. Mais mes lectures ont changé depuis quelques années, je n’ai d’ailleurs jamais caché en entrevue cette année mon admiration pour Jean Echenoz et Pascal Quignard. »
Si pour la presque totalité des artistes avec lesquels vous vous entretenez j’abonde, j »avoue toutefois que j’ai un peu de réserve quant à l’attribution du terme Figure marquante. Figure marquante, assez marquante pour passer à l’Histoire comme Chouinard ou Girard ou figure marquante pour s’inscrire dans son époque comme Hyndman ou Perreau? Figure marquante pour changer la vision des choses comme Hyndman ou Chouinard ou Girard ou figure marquante pour transcrire la modernité comme Perreau et Chouinard?
Bref, qu’est-ce qu’une figure marquante pour vous?
Quant à l’auteure Perrine Leblanc, n’est-ce pas un peu prémédité de prétendre qu’elle est une figure marquante? Mavrakakis, Laferrière, Tremblay ont peut-être un peu plus de poids il me semble. Non pas qu’elle ne possède pas le talent, loin de là : son livre, L’Homme blanc, est remarquable, d’une écriture mature, poétique et un brin classique. Et j’attends les suivants avec fébrilité. Mais bon. Laissons donc filer la vie de cette auteure et la vie se construire en elle. Un livre ne fait habituellement pas l’Oeuvre, sauf en ce qui concerne Miron, évidemment.