2011 selon Catherine Mavrikakis, Hugo Latulippe et Simon Brault : 2011, année politique
Rétrospective 2011

2011 selon Catherine Mavrikakis, Hugo Latulippe et Simon Brault : 2011, année politique

Nous revenons avec eux sur la crise des valeurs qui a secoué l’année, chez nous comme ailleurs. 2011 selon Catherine Mavrikakis, Hugo Latulippe et Simon Brault.

Avec son roman Les derniers jours de Smokey Nelson, elle a poursuivi sa lecture de l’Amérique actuelle. Nous avons demandé à Catherine Mavrikakis ce qu’elle retenait des récentes flambées d’indignation.

« En cette fin d’année, alors que Vaclav Havel vient de mourir, il faut se rappeler le texte qu’il écrivit en 1978, Le pouvoir des sans-pouvoir, où le philosophe et dramaturge, qui deviendra président de la République tchèque, montre la nécessité de résister au totalitarisme même dans les conditions les plus désespérées. »

Un propos qui s’adresse aussi à nous, selon la romancière. « Ce qu’écrit Havel en 1978, contre l’emprise des régimes communistes de l’époque, a des échos dans notre monde actuel. Il s’agit en 1978 pour Havel d’affirmer qu’un spectre hante le monde de l’Europe de l’Est, le spectre du dissident. Or, si les mots « dissidents du régime communiste » ne sont plus à la mode, ils ont été remplacés cette année par « indignés de Wall Street », « rebelles de la Libye », « contre-révolutionnaires du Caire » ou encore « manifestants-étudiants du Québec ». »

2011, année des sans-pouvoir? « Le spectre du contestataire est venu nous hanter comme s’il était possible de lutter avec lui contre ce que nous prenions pour notre destin politique », observe Catherine Mavrikakis. « C’est à ce spectre que nous avons affaire et il ne faut pas oublier que les spectres ont la couenne dure. Il est temps alors de penser, comme Havel l’a proclamé en 1978, que les sans-pouvoir ont un pouvoir et que la question de leur influence sur le système social n’est pas à négliger. En fait, pour Havel, c’est le système social lui-même qui a produit sa propre contestation et qui est donc responsable de son éclatement. Même si nous sommes loin du monde soviétique de l’époque, la figure du ou de la contestataire est devenue très importante récemment et nous rappelle à un ordre moral pour lequel il est encore souhaitable de se rebeller. Je dirais même qu’il est de notre devoir de ne pas accepter les aberrations de systèmes qui de plus en plus montrent leurs limites et leur folie. »

Et attention, la bataille est loin, très loin d’être gagnée. « Cette morale politique n’est pas encore, malgré un certain effet de mode, un acquis. Notre passivité, par exemple face au gouvernement canadien actuel et ses actions, le montre. Que le spectre du contestataire continue à nous hanter. Il permet à l’État de ne pas se croire tout permis… »

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Le 23 octobre, veille de la grande première de République: un abécédaire populaire, Hugo Latulippe est allé présenter en primeur son documentaire aux indignés d’Occupons Montréal. Plus de 500 personnes étaient au rendez-vous.

« Je m’identifie complètement à ce mouvement-là, c’est la source de mon engagement. J’ai fait La course en 1994, année du soulèvement zapatiste. Le mouvement zapatiste est devenu le mouvement altermondialiste, puis Occupons Montréal, Occupons la Terre; c’est une suite logique de ce mouvement-là disant qu’il faut changer de paradigme économique. Et ça, ça se décline culturellement, socialement, dans toutes les sphères de l’activité humaine. Il faut faire basculer notre époque au plus sacrant, car on s’en va dans un mur. »

Vivant en Europe depuis deux ans, Hugo Latulippe n’a certes pas perdu de vue ce qui se passe au Québec. « La classe politique, majoritairement d’un autre âge, est en retard, mais la base de la société québécoise est plutôt en avance. Au Québec, il y a plein d’économistes qui ont commencé à travailler sur des modèles du post-capitalisme et avec le mouvement coopératif, on est au-devant de la vague mondiale. En Angleterre, pays de la London School of Economics, ils sont en avance sur nous car on y écrit des manuels de post-capitalisme depuis longtemps. »

Au fil des semaines, alors que le mouvement Occupy prenait de l’ampleur à travers le monde, les indignés ont été invités par les autorités à lever le camp. Et ce, parfois brutalement. « Les gens qui contrôlent le monde ne sont pas obligés d’écouter des gens qui, pacifiquement dans la rue, disent que notre monde ne peut plus être géré ainsi. Les mouvements Occupons la rue dans le monde sont peut-être encore beaucoup trop sages pour faire basculer l’époque. Ces mouvements vont devoir être beaucoup plus frontaux, passer par beaucoup plus de confrontations, de même que par le politique et la politique active. »

Optimiste, le documentariste? « Absolument! Quand j’ai lancé République au Québec, je suis allé quelques fois à Occupons Montréal; j’ai l’impression qu’il y a là plein de gens qui sont très actifs, et pas seulement dans la rue, mais dans les banques, les écoles, les hôpitaux, le système public. Tranquillement, ces gens-là vont prendre le pouvoir, c’est certain. »

La politique ou la caméra? « Mathieu Roy, qui était en Suisse dernièrement pour Survivre au progrès, m’a appelé pour qu’on aille prendre un café, car il se demandait si on ne devait pas faire de la politique. Si je suis cohérent, je ne peux que répondre oui. À choisir, je continuerais de faire des films, mais le pouvoir est à l’Assemblée nationale et au Parlement, alors il va falloir arrêter de rigoler et y aller pour vrai à un moment donné. »

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Simon Brault, vice-président du Conseil des Arts du Canada, directeur de l’École nationale de théâtre et président de Culture Montréal, revient entre autres sur l’Agenda 21 de la culture, adopté le 5 décembre dernier par le gouvernement du Québec.

Il a participé de près à l’élaboration de l’Agenda 21, qui stipule en outre que « la culture est un moteur de créativité, qui constitue une source d’innovation sociale et technologique, et favorise la croissance et l’emploi« . Simon Brault est-il pleinement satisfait du résultat? « Pas totalement, parce que je souhaitais, comme d’autres, que la culture soit considérée au terme de l’exercice comme le 4e pilier du développement durable, à côté des piliers économique, social et écologique. Nous en sommes plutôt arrivés à faire reconnaître qu’elle constituait une dimension essentielle des trois autres. Mais l’Agenda 21 représente un grand pas en avant, il est même étonnant qu’un gouvernement national ait mené jusqu’au bout un tel projet, en pleine crise financière mondiale. »

Fruit d’une large concertation amorcée en septembre 2010, l’Agenda 21 demeure peu connu du grand public. Qu’est-ce que Monsieur et Madame Tout-le-monde doivent en retenir? « D’abord, il y a derrière ces travaux un engagement ferme de la part du gouvernement, qui affirme qu’il n’est plus question d’abandonner la mission étatique envers la culture. Ensuite, on établit que tous les ministères devront faire une place au développement culturel dans leurs activités. Et puis on envoie le signal clair que le développement durable, ce n’est pas qu’une affaire d’environnement. La culture, entre autres, y est centrale. Maintenant, il y a tout un suivi à faire pour que le gouvernement livre la marchandise! »

Justement, comment ces belles idées peuvent-elles se traduire concrètement? « Voici un exemple précis: Christian Paire, le directeur général du CHUM, développe actuellement l’idée d’intégrer au nouveau bâtiment de l’hôpital des salles de spectacle, des espaces muséologiques… C’est le genre d’application très concrète que peut avoir l’intégration de la culture dans tout type de projet en développement. »

Dans une perspective plus large, Simon Brault établit des parallèles entre de telles préoccupations et les mouvements de contestation des derniers mois, ici et à l’étranger. « Actuellement, à peu près tout le monde conclut que la répartition de la richesse est faussée, que la croissance économique est éteinte. Tout ce qui donne aux individus la capacité de réfléchir et de s’exprimer a une grande importance. Dans le contexte présent, la culture et l’éducation apparaissent plus vitales que jamais. Chaque fois qu’une société traverse une crise profonde, la culture est susceptible de jouer un rôle central dans l’élaboration de conceptions nouvelles du monde. »