L’affaire Tiken Jah Fakoly : Prière de ne pas vendre de billets
Le producteur Robert Hakim a accepté de lever le voile à propos de l’annulation du spectacle de Tiken Jah Fakoly. Le Saguenay est-il en train de plonger dans une situation de monopole quant aux billetteries et à l’agenda des spectacles?
À quelques jours de Noël, le producteur Robert Hakim se voyait dans l’obligation d’annoncer l’annulation du spectacle de l’artiste de renommée internationale Tiken Jah Fakoly. La nouvelle a semé l’incompréhension générale chez les spectateurs et c’est d’ailleurs une centaine de ceux-ci, selon Hakim, qui étaient déjà déterminés à se procurer des billets en vue de cet événement unique, qui ont dû mettre une croix sur la venue de Tiken Jah dans la région.
Les explications de Robert Hakim quant à l’annulation du spectacle ont donné froid dans le dos. En effet, selon le producteur, « deux dirigeants de Diffusion Saguenay ont évoqué une clause confidentielle dans leur futur contrat les liant à la billetterie Réservatech mentionnant qu’ils avaient droit de veto sur tous les spectacles présentés sur le territoire de Saguenay ».
Dans une région où les salles de spectacle doivent se livrer une compétition saine, voire presque amicale pour survivre, où les spectateurs se font parfois difficiles à séduire, où les jeunes adultes quittent leur patelin afin de tenter leur chance dans les grands centres, où l’argent coule encore moins à flots depuis l’élection majoritaire du Parti conservateur au fédéral, où chaque spectacle produit est pratiquement un petit miracle en soi et où plusieurs artistes renommés craignent de se rendre pour des raisons géographiques et économiques, a-t-on raison de craindre l’émergence d’une telle situation de monopole? Au dire de Robert Hakim, tout indique que oui.
Voir: À ta connaissance, est-ce la première fois qu’un tel sort est réservé à un spectacle?
Robert Hakim: « J’ai 30 ans d’expérience dans le milieu du spectacle, et c’est la première fois, à ma connaissance, qu’une situation comme celle-là se produit au Québec. Dans les derniers jours, j’ai parlé à plusieurs collègues producteurs et agents d’artistes de l’extérieur, et ils déplorent tous unanimement une telle ingérence. Utiliser un stratagème détourné pour interdire la tenue d’un spectacle privé dans une salle privée comme La Saguenéenne, c’est une certaine forme d’abus de pouvoir inacceptable et incompréhensible. »
Crois-tu qu’il s’agit d’une certaine forme de vendetta de la part de Diffusion Saguenay (DS)?
« J’ose croire que non. Cependant, c’est nettement une forme d’intimidation qui mérite d’être dénoncée. C’est d’autant plus curieux que j’ai déjà deux spectacles en vente sur Réservatech, soit Charlie Winston le 23 janvier prochain et Éric Lapointe le 14 avril, tous deux présentés au Cabaret La Saguenéenne. Alors pourquoi se permettre d’interdire la vente de ce spectacle-là sans avertissement et sans explication valable? »
Crains-tu que cette espèce de monopole de DS sur l’agenda des spectacles prenne de l’expansion et/ou mette les divers producteurs indépendants de la région dans une situation dangereuse?
« C’est un dangereux précédent et ça n’augure rien de bon pour les producteurs indépendants d’ici. On pénalise la clientèle en diminuant l’offre et la diversité de spectacles. C’est comme si on disait aux gens: si ce n’est pas présenté par Diffusion Saguenay, ce n’est pas un bon spectacle pour vous. On suppose qu’ils ne sont pas assez intelligents pour choisir quel spectacle ou concert ils veulent aller voir ou entendre. Ce n’est pas au diffuseur de choisir, mais bien au spectateur. Si les autres villes du Québec suivaient cette logique, il n’y aurait plus aucun spectacle au Centre Bell, au Colisée de Québec, au Grand Théâtre, au Capitole et dans une centaine d’autres salles privées, qui sont toutes des salles gérées par des producteurs indépendants et non des diffuseurs municipaux. Quelques producteurs indépendants de la région et moi-même allons vérifier si les lois de la concurrence sont respectées avec cette forme de monopole. La solution pourrait être de changer de billetterie dans l’éventualité où Réservatech a les mains liées par contrat avec DS, comme celui-ci le prétend. »
Est-ce que le public a son mot à dire dans tout ça?
« Comme on peut le voir, le public n’a rien à dire là-dessus et son opinion ne compte tout simplement pas pour le diffuseur. À preuve, les centaines de personnes qui ont été privées du concert d’une vedette internationale comme Tiken Jah Fakoly. Il est même possible qu’à l’avenir, le public ne sache jamais quel artiste aurait pu venir dans la région. C’est regrettable. »
Peut-on penser que les multiples festivals de la région pourraient, à un moment ou à un autre, se retrouver avec des bâtons dans les roues eux aussi?
« Si la situation n’est pas dénoncée, c’est certain que les festivals de la région seront pénalisés dans un avenir rapproché. DS a déjà manifesté son intention de produire des spectacles extérieurs cet été; un secteur d’activité qui n’est pas dans le mandat prioritaire ni même secondaire d’un diffuseur pluridisciplinaire comme DS. Ça va commencer par le contrôle des spectacles payants avec billetterie, et un jour pas trop lointain, le diffuseur voudra contrôler les spectacles gratuits estivaux dans l’agenda annuel pour ne pas nuire à sa propre vente de billets de spectacles en salle en automne et en hiver. Le nerf de la guerre pour le diffuseur dans ce dossier, c’est la billetterie. Lorsque tu as le monopole de la billetterie, la règlementation concernant le prix du billet n’est plus contrôlable. Et lorsque, en plus, tu élimines la compétition d’offre de spectacles privés, on se retrouve avec une situation de monopole et avec des prix de billets plus chers qu’ailleurs au Québec, et même plus chers qu’au Lac-Saint-Jean. »