La garde-robe d’Expo 67, de par sa nature, n’est pas restée longtemps dans l’espace public. À l’aube du 50e anniversaire de l’événement, la commissaire Cynthia Cooper l’examine sous un angle unique et en phase avec la mission du Musée McCord. Après tout, l’institution montréalaise détient la plus vaste collection de mode canadienne. « Moi je suis au musée depuis 18 ans et l’une de mes fonctions c’est de bâtir la collection de costumes et textiles. Un jour, j’ai rencontré le couturier Jacques de Montjoye qui voulait faire le don d’une robe ayant fait partie d’un défilé à l’Expo 67. » De là, et avec les autres items de la réserve, germe l’idée de réunir tous ces artéfacts vestimentaires sous un même corpus. De remettre les uniformes d’hôtesses, la robe de Michel Robichaud porté par Marie-Claire Boucher Drapeau et ce cadeau de Jacques de Montjoye dans leur contexte.
Habiller les représentantes d’un pavillon était un vecteur de fierté pour les couturiers locaux. L’industrie textile, aussi, a vite fait de cerner les opportunités liées à Expo 67, symbole de renouveau, et les a saisies.
Cynthia Cooper : « Même deux ans avant l’ouverture de l’Expo, les revues commencent à publier des photos de mode, des shootings faits sur le site en construction. […] Le milieu de la mode fait de la publicité non officielle pour l’événement en l’associant à une image avant-gardiste et tournée vers l’avenir. »
Une section de l’exposition est justement dédiée au Grand Boum de la mode canadienne, le défilé hebdomadaire du Pavillon du Canada orchestré par Ioana Monahan – sorte d’Anna Wintour montréalaise vintage, s’il fallait la comparer à une figure contemporaine connue du grand public. « On peut peut-être en rire aujourd’hui, mais elle était très avant-gardiste pour l’époque. Dans l’exposition, on voit le film de ça, des images de Radio-Canada. Les manufacturiers ont accepté de rester anonymes pour montrer le dynamisme d’alors de la mode d’ici. »
Davantage de l’ordre du prêt-à-porter que de la haute couture, les pièces présentées dans le cadre du Grand Boum (un titre bien de son temps) se sont ensuite vendues chez Eaton et Dupuis à l’automne 1967. Cette année-là, les designers ont su capter l’essence de ce que les femmes voulaient porter.
Une petite révolution esthétique s’enclenche même si, au rayon de la condition féminine, c’est un peu le statu quo. Les hôtesses et les visiteuses sont essentiellement considérées comme des portemanteaux. « C’est plein de contradictions, n’est-ce pas, Expo 67. On l’appelait Terre des Hommes, mais on y présentait presque entièrement de la mode féminine. Nous, on a inséré des exemples de mode masculine là où on pouvait, où ça convenait, mais sur la quarantaine de mannequins du Grand Boum, il y avait peut-être trois hommes à la fois. Malgré tout, presque tous les couturiers qui se sont distingués et dont on parle [dans l’expo] étaient des hommes. La seule femme, c’était Marielle Fleury. »
Même si les coupes des uniformes étaient cool, et résolument dans l’air du temps, ces dernières présentaient quand même un certain décalage avec une tendance phare des sixties : la mini-jupe. « Les visiteuses la portaient beaucoup, mais les uniformes d’hôtesses étaient conçus pour être professionnels. Pour les hôtesses en bleu, les hôtesses officielles d’Expo 67, c’était vraiment une longueur juste au-dessus du genou. On entend l’une d’entre elles dans l’audio guide et on apprend qu’elles se faisaient inspecter. Après, elles roulaient leurs jupes d’un tour. »
La seule exception au conservatisme? Le Pavillon Britannique, patrie de Mary Quant. « Ils ont annoncé que la mini-jupe faisait partie du London look et que toutes leurs hôtesses la porteraient. »
Cynthia Cooper : « Au Pavillon Kaléidoscope, on se vantait en disant que toutes les hôtesses étaient concurrentes pour le titre de Miss Canada. »
Les filles, les jeunes femmes qui travaillaient à l’île Ste-Hélène étaient consensuellement jolies et s’inscrivaient dans les canons de beauté de l’ère Mad Men. Minces, impeccablement coiffées et bronzées. Si les photos d’archives en témoignent, les recherches de Cynthia Cooper abondent dans le même sens. « Dans la littérature, dans tout ce qui a été publié des mémos internes aux annonces publiques pour l’embauche des hôtesses, on parlait d’une belle apparence et de filles bien proportionnées. Il fallait aussi parler au moins deux langues et, souvent, avoir une éducation universitaire. »
Des prérequis écrits noir sur blanc, une discrimination basée sur les mensurations qui serait impensable aujourd’hui même si, bon, l’entre-gens et les connaissances étaient des qualités recherchées à parts égales. Le sourire radieux, aussi.
Du 17 mars au 1er octobre au Musée McCord
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