Ouvert depuis 1927 sur la rue St-Hubert à Montréal, Lozeau est devenu une véritable institution dans le domaine de la photo et de la vidéo. Traversant les époques et les tendances, l’entreprise familiale fondée par Léo Laurent Lozeau a fait bien du chemin…
D’abord spécialisé en photographie de mariage, le magasin, toujours situé sur la Plaza St-Hubert, n’a jamais cessé de se développer et est devenu la plus grande surface de vente de produits photographiques au Québec. À présent, c’est la troisième génération de la famille Lozeau qui a pris les rênes, dont M. Stéphane Lozeau-Simard, vice-président et directeur du développement de l’entreprise, qui nous partage le secret de ce succès local perdurant depuis près d’un siècle.
Cette année marque les 90 ans de Lozeau, selon vous qu’est-ce qui explique cette longévité exceptionnelle?
Je crois que ça s’explique surtout par le service à la clientèle, qui occupe la base de notre fondement. Ç’a toujours été là qu’on s’est le plus distingué à mon avis. Malgré tous les changements dans notre domaine, on essaie de garder le service APA (avant, pendant et après). Il faut savoir se démarquer des marchés plus axés sur le Web et la technologie en gardant un lien de proximité avec l’utilisateur. À produit égal, c’est les petits détails qui font la différence: la qualité de service, le sourire et la quantité de produits en inventaire également. Nous sommes d’ailleurs le magasin de photographie avec le plus gros inventaire au Canada à une seule adresse. Donc, si le client se déplace chez nous, il peut s’attendre à ce qu’on ait le produit qu’il recherche (ou l’équivalent).
Certains produits s’achètent bien sur le Web, mais quand on est rendu à un montant important, la plupart du temps, les gens veulent y toucher. Donc peu importe les innovations, le showrooming (exposer physiquement le produit) va toujours perdurer, mais il faut aussi faire des suivis et développer d’autres gammes de services en parallèle.
Justement, vous avez migré davantage vers le Web, votre site est transactionnel depuis plusieurs années, comment garde-t-on ce même lien de proximité avec le client tout en étant présent en ligne?
En partant, il faut être au bon prix pour rester compétitifs contre les gros marchés du Web. Par la suite, il faut offrir un bon service après-vente. Dans notre cas, on a mis sur place un service de support téléphonique dédié au suivi avec le client. Dans la plupart des magasins, quand on appelle pour une information, c’est un vendeur sur le plancher qui répond. Ici il y a des téléphonistes qui peuvent prendre le temps de servir le client, répondre aux questions et conclure l’achat au besoin.
Si on combine un service adéquat à un bon prix compétitif, on est en mesure de rejoindre l’utilisateur qui fait ses achats en ligne. De plus, on offre énormément d’informations sur chaque produit sur le site Web, on le faisait bien avant qu’il soit transactionnel. Ainsi, on évite de faire chercher l’utilisateur, on s’arrange pour que toutes ses questions soient répondues sur une seule page Web.
Avez-vous déjà envisagé d’ouvrir d’autres boutiques qui viendraient compléter celle à la Plaza St-Hubert? Comme la compétition peut être féroce, pourquoi avoir fait le pari de rester à une seule adresse?
Avec les années, on a eu plusieurs offres pour ouvrir des franchises, mais on a toujours dit que Lozeau, c’est une entité, c’est un commerce familial, avec pignon sur rue. On a déjà eu au centre-ville une place où l’on pouvait développer de la pellicule photo. Ça marchait bien, mais comme c’était affilié à Lozeau, les gens s’attendaient aussi à avoir une grande quantité de produits en inventaire, ce qui était difficile à offrir dans de plus petites localités. Ainsi, on a décidé de se concentrer sur le magasin déjà établi, avec son inventaire centralisé. Le Web est arrivé à peu près au même moment, donc on a pu se diversifier malgré tout.
Parlant de diversification, vous vous êtes lancé récemment dans la commercialisation de drones, c’est bien sûr devenu un secteur important, mais jusqu’à quel point est-ce que ce secteur peut prendre de l’expansion? Jusqu’où ça peut aller?
Dans la tête de la majorité des consommateurs, les drones volent et ont des hélices. Or, ça va bien plus loin que ça. Un drone c’est d’abord et avant tout un robot. On touche donc ici à la robotisation de l’humain, qui est un domaine en pleine expansion. Ainsi, il est pour moi certain qu’il y aura de plus en plus de drones en circulation. Les lois et réglementations vont finir par suivre et encadrer correctement ce secteur.
Les drones emmènent un visuel et une image jamais vue auparavant, et c’est loin d’être terminé, on assiste encore à beaucoup de nouveauté dans le marché qui permettent une meilleure accessibilité aux drones. Je pense notamment au DJI Spark, qui pèse 3.2 kilos, ce qui est très léger et plus facile d’utilisation. C’est également plus sécuritaire et conforme aux lois.
Il est certain que les enjeux relatifs à la vie privée sont importants et n’ont pas tous été réglés, mais une chose est certaine, les drones c’est le futur. Et, encore une fois, quand je dis « drone », je réfère à la robotisation de l’humain et des processus. Je crois qu’en général, la robotisation va emmener la photographie à revenir à sa base de l’imagerie : c’est-à-dire de regarder, contempler une photo, plutôt que de simplement la scroller avec son doigt. C’est ce que les gens recherchent.
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Vous le savez, les innovations dans votre domaine vont très vite. Comment parvient-on à rester «à la page» et à anticiper les besoins du marché?
Là, on tombe dans mon dada: la recherche et le développement. Il n’y a pas de recette magique pour rester pertinent: c’est de la recherche constante, c’est de l’essai et erreur et c’est aussi beaucoup d’échanges et de colloques un peu partout pour y déceler des tangentes technologiques.
Ce qu’il faut comprendre c’est que le défi n’est pas vraiment d’anticiper la technologie, c’est plutôt de prévoir les comportements humains. Ce n’est pas parce qu’une technologie est branchée et innovante qu’elle va nécessairement fonctionner. Il faut toujours se poser la question : «Qu’est-ce que les gens ont envie d’avoir dans les mains?». Pour ce faire, il importe d’analyser et de comprendre les générations présentes et futures, notamment les milléniaux. Par exemple, en vidéo, on sait que la technologie permet d’utiliser la résolution 8K. Sauf qu’avant de se lancer à pieds joints dans le 8K, il faut savoir si le consommateur a envie de l’utiliser ou encore s’il a les outils et les connaissances adéquates pour le faire.
Ce qui arrive souvent, c’est que le produit sort trop vite, sans que, justement, on ait vérifié si les gens sont prêts. On ne peut pas avoir de boule de cristal: il arrive qu’une technologie prenne une orientation différente et non prévue, par exemple, la réalité augmentée, qui commence à surpasser la réalité virtuelle.
Vous le disiez tout à l’heure, vous avez pignon sur rue sur la Plaza St-Hubert. Or, la Plaza fait l’objet d’importants travaux de réaménagement ce qui est la cause de certains désagréments ou inquiétudes. Qu’en pensez-vous? Est-ce un défi supplémentaire pour les commerçants?
C’est définitivement un défi supplémentaire. Le Web va nous aider, c’est sûr et certain. Cependant, on a eu le temps de prévoir le coup: quand on a construit notre nouvel espace vidéo pro & location, on a mis une porte en arrière, adjacente au stationnement public. On peut ainsi améliorer l’accessibilité malgré les travaux. De plus, il y a encore diverses possibilités de transport pour se rendre à la Plaza.
Les travaux de réfection de la rue St-Hubert, c’est incontournable. On n’a pas le choix. Les tuyaux datent des années 1960. C’est essentiel de la refaire, sinon on va passer notre temps à la fermer l’hiver à cause des bris… C’est préférable de la fermer une fois sur une longue période pour le faire convenablement. J’ai vu les dessins d’ingénieurs qui ont été approuvés par la ville, et je suis convaincu que les gens vont adorer! Il y a déjà le WiFi accessible sur la rue, et ce n’est qu’un avant-goût… L’éclairage sera notamment refait au complet sur les marquises, ça va devenir un milieu agréable pour se promener! Je pense que la réfection de la rue va vraiment attirer une nouvelle clientèle, dont les milléniaux et les jeunes familles.
Lozeau est sans contredit un commerce familial et tout indique qu’il le restera. Est-ce plus difficile de travailler avec sa famille, notamment quand on diverge d’opinion?
C’est à deux sens: ça a autant le côté positif où l’évolution se fait rapidement quand tout le monde se suit et ça a le côté plus difficile où, parfois, il faut se dire les vraies choses, ce qui peut causer des tensions… Le défi c’est que la famille reste soudée dans tout ça. C’est une question de communication.
Je dirais que le secret d’un commerce familial efficace, c’est de toujours avoir des consultants externes en qui on a confiance afin d’avoir un œil extérieur qui peut donner un avis différent, dénué de tout lien familial. Cela permet de garder une objectivité et une neutralité dans les décisions qui touchent le commerce familial. C’est en combinant les racines familiales à celles d’autres experts de l’extérieur que Lozeau parvient à rester pertinent.