Le parc du Mont-Royal: outil de réforme sociale, joyau nord-américain
Conçu par l’architecte paysagiste le plus réputé en Amérique du Nord, le parc du Mont-Royal est aussi considéré comme l’une de ses oeuvres marquantes. Redécouverte de ce lieu chouchou des Montréalais.
C’est désormais un fait assez connu: le parc du Mont-Royal (inauguré en 1876) et Central Park, à New York (1873), ont en commun un même concepteur: Frederick Law Olmsted. Mais tout le reste est très peu connu. Or, Frederick Law Olmsted, considéré carrément comme le père de l’architecture de paysage, était un visionnaire, préoccupé par les réformes sociales. Et le parc du Mont-Royal, auquel il a travaillé tout de suite après Central Park, fait partie du groupe «sélect» des sept parcs urbains les plus importants qu’il a conçu. Central Park et Prospect Park à Brooklyn sont clairement les oeuvres majeures de Olmsted, mais le parc du Mont-Royal figure parmi ses oeuvres marquantes, avec South Park à Chicago, Muddy River et Franklin Park à Boston, et Belle Isle à Detroit. Durant tout un siècle, la firme d’Olmsted constitue le groupe d’architectes paysagistes le plus productif et le plus influent d’Amérique.
Olmsted: activiste social, anti-esclavagiste… et journaliste
Le parc du Mont-Royal est la seule œuvre d’Olmsted hors des États-Unis; c’est aussi la première œuvre qu’il a signée après s’être séparé de son partenaire de l’époque, Calvert Vaux, avec qui il avait travaillé à la conception de Central Park. Frederick Law Olmsted lui-même était un personnage étonnant. Activiste social, il a mené, avant de devenir architecte paysagiste, une brillante carrière de journaliste. Suite au succès littéraire d’un de ses ouvrages (Walks and Talks of an American Farmer in England, récit d’un voyage d’observation en Angleterre), le New York Times l’invite à faire, entre 1852 et 1857, une tournée des États esclavagistes du Sud, afin d’en scruter la société. Les ouvrages qu’il en tire vont contribuer à la croissance du mouvement anti-esclavagiste. Olmsted défend la vision d’une société «du Nord», pouvant démontrer la supériorité d’un système fondé sur le travail libre.
Puis, rapidement, Olmsted se montre préoccupé par l’essor accéléré des villes, et le besoin d’y développer des espaces verts publics, accessibles à tous les groupes de citoyens. «Olmsted accorde au parc une signification et un rôle spécifiques: fournir une série de tableaux paysagers susceptibles de contrer l’effet débilitant de ce que nous nommons aujourd’hui «stress», le stress de la vie urbaine. Il accorde au paysage naturel un pouvoir réparateur et d’autant plus efficace s’il agit selon un processus «inconscient». La visiteuse ou le visiteur doit s’immerger dans le paysage, libre de toute distraction susceptible d’interférer avec cette expérience. C’est le principe clé de la conception des paysages d’Olmsted et des façons de s’y déplacer. «Il y subordonne tous les éléments, et ce, beaucoup plus systématiquement que tout autre architecte paysagiste de son temps», écrit Charles E. Beveridge, historien américain spécialiste de Olmsted, dans son ouvrage Le Mont-Royal dans l’oeuvre de Frederick Law Olmsted.
« Le projet de tout Montréal »
En 1860, le Mont-Royal est occupé d’une part par des cimetières, et d’autres part par divers propriétaires, qui exploitent le lieu pour l’agriculture. Une coupe à blanc faite dans un vaste secteur par un de ces propriétaires, un certain M. Lamothe, provoque une prise de conscience quant à l’importance de préserver l’endroit, et on lance le projet d’en faire un parc public. Ce qui ne va pas sans mal. L’idée d’un tel parc est loin de convaincre tout le monde au départ. «À l’époque, Montréal comptait 112 000 habitants, et les limites de la ville de se trouvaient à 10 pâtés de maison au nord du fleuve. Un conseiller municipal après l’autre soutenait que, acquérir ce terrain, pour faire un parc aussi loin de la ville, ne serait d’aucune utilité aux citoyens – que c’était trop loin pour cela», rappelait l’architecte Moshe Safdie, à qui on doit entre autres Habitat 67, dans son livre The City After the Automobile, publié en 1997.
Il a aussi fallu faire face à l’opposition des richissimes montréalais, dont les maisons de campagnes jouxtaient l’emplacement prévu pour le parc. «Aujourd’hui, le parc est au coeur géographique de la portion de la ville la plus intensément développée, poursuit Moshe Safdie. Il est impossible aujourd’hui d’imaginer Montréal sans le parc du Mont-Royal, mais il est évident, aussi, que sans la vision de certains leaders de la communauté il y a plus d’un siècle, créer le parc aurait été impossible. Même seulement deux ou trois décennies après la décision d’établir le parc, les pressions au développement et l’augmentation de la valeur du terrain auraient rendu l’expropriation prohibitive, et politiquement improbable.» Ce qui ne veut pas dire que créer le parc ait été bon marché pour autant. «Cela a coûté 1M$, à l’époque où le budget de la ville était de 850 000$!, rappelle Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal. Il faut imaginer toute la puissance civique qu’il a fallu réunir autour de ce projet. Et, au 19e siècle, on a réalisé quelque chose dans un laps de temps sans commune mesure avec ce qui se voit aujourd’hui. Une commission a été mise sur pied au Conseil municipal. Et, ça a été le projet de tout Montréal.»
Étant donné la vision de départ, le choix de Olmsted, qui venait d’achever la complétion de Central Park à New York, s’est imposé. «Il y avait une relation Montréal – New York à l’époque, dit Dinu Bumbaru. Une sorte de rivalité, ou, à tout le moins, une émulation.»
Le parc du Mont-Royal aujourd’hui
Si des parcs comme celui du Mont-Royal ont vu le jour au départ dans un souci de préservation, les parcs créés par Olmsted sont aussi, et même avant tout, des œuvres architecturales à part entière. Ce qui n’a pas forcément toujours été mis de l’avant, et en conséquence n’est pas toujours bien compris. «Au moment de leur désignation aux fins d’usage public, la santé écologique des emplacements d’origine des parcs qu’il [Olmsted] a dessinés est déjà passablement altérée par l’occupation humaine et ses activités, écrit l’historien Charles E. Beveridge. Rien ne subsiste de leur état originel. L’objectif d’Olmsted est de faire de ces emplacements les lieux d’expériences complètes et variées du décor naturel, d’une nature enrichie par l’art. Escomptant faire vivre aux usagers une expérience des plus tonifiantes et thérapeutiques, Olmsted les amène à traverser différents paysages, ce qui, à ses yeux, s’avère le meilleur antidote au stress de la vie urbaine». Le parc du Mont-Royal, en particulier, est conçu pour offrir une progression soigneusement calculée de différents tableaux paysagers, décrits par Olmsted lui-même comme les «stances successives d’un poème paysager, à chacune desquelles l’esprit est graduellement et agréablement conduit, de même qu’il est graduellement et agréablement amené à les quitter, constitutant ainsi les extraits d’une expérience complète».
Aujourd’hui, parmi les parcs conçus par Olmsted, le parc du Mont-Royal est celui qui est demeuré le plus intact. «Contrairement à plusieurs autres grands parcs urbains conçus par Olmsted, le mont Royal n’accuse pas d’intrusions majeures incompatibles avec les plans initiaux et que sont les voies rapides, les jardins zoologiques, les terrains de golf, les vastes installations sportives et les musées», notait en 2002 la National Association for Olmsted Parks, dans sa «Déclaration sur le Mont-Royal». Le parc remplit aussi, de toute évidence l’objectif cher à Olmsted d’attirer toutes les classes de citoyens, et d’offrir en quelque sorte un «lieu d’égalité». «On a des gens de partout en ville, qui viennent profiter d’un endroit qui est adjacent à certaines des propriétés les plus chères en ville», souligne Dinu Bumbaru.
À faire, à voir
L’organisme Les amis de la montagne propose divers circuits pour découvrir le Mont-Royal, dont plusieurs sont offerts jusqu’à la fin octobre. Entre autres le tour guidé «La fabuleuse histoire du Mont-Royal», offert tous les samedis. Pour en savoir plus: lemontroyal.qc.ca/fr/activites-et-services/activites-de-plein-air.sn
Quelques références:
Les Carnets du Mont-Royal, par Jean-Claude Marsan, illustré par Tex Dawson, publié par Les Heures Bleues: heuresbleues.com/carnets-du-mont-royal
Le Mont-Royal dans l’oeuvre de Frederick Law Olmsted, par le Dr. Charles E. Beveridge: aapq.org/sites/aapq.org/files/dchartier_olmsted-vision-mont-royal.pdf