Société

Bibis, cloches et escarpins : Récits textiles

« La mode se démode, le style jamais. » Bon, OK. Cette citation de Gabrielle Chanel est vraiment éculée, les magazines d’intérêts féminins nous la ressassent depuis un siècle, mais ça introduit quand même très bien la nouvelle expo du Musée de la Civilisation.

Issus de la donation d’Annie et Pierre Cantin, les vêtements et autres accessoires du corpus de Bibis, cloches et escarpins évoquent la télésérie britannique Mr Selfridge. Mais qui étaient ces gens, ces aficionados d’objets anciens bien de chez nous? On a posé la question à Valérie Bouchard, une diplômée de l’Université Laval qui a précisément fait son doctorat sur la collection du couple. « Pierre Cantin était un architecte de formation. Il est né et a grandi à Québec, dans le quartier Montcalm, mais il a fait ses études à l’École des Beaux-Arts de Montréal. […] Lui, il avait toujours rêvé d’avoir une maison patrimoniale. En 1964, il a acheté le Manoir de Charleville à Boischatel, une maison qui date du régime français et qui était sur le point d’être démolie. In extremis, il l’achète et la restaure. Un an plus tard, le bâtiment est classé patrimonial. Pour le meubler, ils ont commencé à acheter des meubles d’époque et après ça ils ont continué avec des objets domestiques, des lampes, des outils de cuisine, des costumes. Annie Cantin a toujours été intéressée par la mode, la haute couture. » Longtemps, le duo a caressé le rêve d’ouvrir un musée sur les arts et les métiers traditionnels québécois. Un projet qui n’a jamais vu le jour, d’où cet inestimable cadeau offert au MCQ.

Tout commence avec la mère de Pierre qui avait eu la bonne idée de conserver tous ces trésors, comme nous le raconte la conservatrice Valérie Laforge. « Elle avait préservé elle-même tout un vestiaire, toute une garde-robe, des vêtements qu’elle, ses sœurs et ses filles avaient portés. Elle avait ce souci de la conservation et elle a tout donné à Annie Cantin. Le grand-père de Pierre avait aussi un commerce sur la rue St-Jean, il était bijoutier horloger. » Cet homme de goût, c’était Étienne-Victor Cantin. Un orfèvre fort réputé qui avait tout appris de Cyrille Duquet, un commerçant notoire qui s’était aussi fait élire comme maire de feu Ville Montcalm. Tout un personnage, en somme! « C’est quand même une famille de la classe bourgeoise de Québec, précise Mme Bouchard. On n’est pas dans la grande bourgeoise, mais c’est un milieu qui est aisé. »

Annie, elle, est Française d’origine. D’ailleurs, elle demeure toujours à Québec. « Elle, elle travaillait pour l’architecte et c’est devenu un couple, un couple avec des passions communes, détaille l’autre Valérie. M. Cantin, en fait, aimait déjà le patrimoine. Il a été sur le gros chantier de Place Royale en 70, entre autres. Ça faisait partie de leur univers, de leur vie. » Pierre Cantin était aussi un homme de son temps. C’est lui qui a dessiné L’Institut Marie-Clarac de Montréal, un joyau d’architecture moderne, un bâtiment audacieux et tout en courbes inauguré deux ans avant le début d’Expo 67. Un immeuble vraiment en phase avec les expérimentations de l’Île Ste-Hélène, justement.

Carte postale temporelle

Les plus vieux artefacts de Bibis, cloches escarpins datent de la fin du XIXe siècle et les plus jeunes, des années 1960. Des pièces beaucoup trop rares et précieuses pour être trouvées en friperie, même par un coup de chance inouï. Si ces pièces ont survécu au temps c’est, bien souvent, parce qu’elles avaient été confectionnées par celles qui les ont portées. Bien avant H&M, Zara et autres marques bon marché « made in Bangladesh », la couture, le tricot et le crochet faisaient partie de l’éducation des dames. Dans les années 1910, le prêt-à-porter n’avait pas encore la cote. « Il y avait aussi beaucoup de copies. On voyait ce qui se faisait en Europe ou aux États-Unis dans les magazines, dans les catalogues. On allait voir les couturières et on demandait ça. »

Robe de jour, vers 1910 (Musée de la civilisation, don d'Annie Cantin et de Pierre Cantin, photographe : Red Méthot - Icône, 2013-392)
Robe de jour, vers 1910 (Musée de la civilisation, don d’Annie Cantin et de Pierre Cantin, photographe : Red Méthot – Icône, 2013-392)

En plus des morceaux fabriqués à la main, l’exposition compte un veston acheté chez Paquet de même qu’un catalogue du Syndicat de Québec. C’est une fenêtre qui s’ouvre sur le glorieux passé de St-Joseph  dans le  quartier St-Roch, l’âge d’or d’avant Place Laurier, la désertion de la rue puis la construction du mail. Une période dont il ne reste presque plus rien, si ce n’est que le Laliberté qui célèbre son 150e anniversaire.

Bibis, cloches et escarpins
Du 28 novembre 2017 au 8 octobre 2018
Musée de la Civilisation

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