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Plus d’anglais?

Cette semaine, un sondage Léger Marketing, commandé par le Journal de Montréal, affirmait que les jeunes de 18 à 34 ans résidant à Québec veulent plus de films en version originale anglophone ainsi que davantage de concerts et spectacles en langue de Shakespeare. Étant dans cette tranche d’âge, je me suis questionnée à ce sujet.

Déjà, j’en entend certains répliquer: « les jeunes sont des colonisés, des assimilés », « ils ont oublié d’où ils viennent et crachent sur le français », « le français va mourir à cause des maudits jeunes »… Pour ceux qui pensent cela, sachez que je suis loin d’être une assimilée. Bien que je ne vienne de la ville de Québec, je crois comprendre ce qui motive ces jeunes à désirer plus d’anglais dans certaines sphères spécifiques aux 7e art ou aux arts de la scène.

Je m’exprime principalement en français. Et je ne crois pas le faire trop maladroitement. Il y a place à l’amélioration, certes. Je ne suis pas parfaite mais j’y aspire. Je voue un culte sans limites à la langue française et maintenant, plus que jamais, je saisis l’urgence de maîtriser tous les caprices de notre langue de Molière. L’écriture est plus qu’une passion pour moi: c’est un idéal, un but, une vie. Même si je peux pratiquer cet art en trois langues, je préfère le français. C’est la plus complexe des trois, infusée de mystère, d’une complexité parfois désespérante mais c’est celle qui me procure le plus de satisfaction. C’est celle qui me permet de rêver à des mondes meilleurs. De devoir utiliser trois fois plus de mots pour exprimer une idée en français ne me dérange guère. Le français, je l’aime. Je l’adore. Donc, s’il-vous-plaît, si jamais au cours de la lecture de ce billet vous vous dites « quelle assimilée », « espèce de fédéraliste amoureuse de têtes carrées », je vous demanderais de relire cette partie de mon billet très attentivement. Si les accusations vous chatouillent toujours l’esprit, je vous en conjure, faites-moi le savoir: cela voudra dire que je ne suis nullement capable d’exprimer convenablement mon amour du français… J’irai voir un psy sur-le-champ!

Tout ça pour dire que les jeunes qui parlent anglais ne sont pas tous des vendus à Harper ou à la cause anglophone.

J’arrive à mon point: l’Art transcende la langue.

La musique reste musique. Avez-vous déjà aimé une chanson dont vous ne compreniez pas les paroles? Moi, c’est Tajabone d’Ismael Lo, ou les chansons de Rachid Taha. Je ne comprends pas un traître mot mais le ryhtme, l’ambiance, le son, la passion… C’est ce qui fait une bonne chanson. Si je préfère Madonna à Marie-Mai, U2 à Éric Lapointe, ce n’est pas une question de langue mais de goût. Et de rareté. La très grande proximité que nous avons avec nos artistes québécois, le fait de les croiser sur le Plateau, dans les bars et les restaurants fait en sorte que je serai beaucoup plus emportée lorsque je verrai Bono juste devant moi que, mettons, Daniel Boucher. L’admiration demeure la même. Mais de se retrouver devant une star planétaire, inatteignable, c’est un phénomène en soi. Ce n’est qu’une piste, mais je crois que le fait de vouloir avoir plus de concerts de groupes internationaux anglophones n’est pas de cracher sur le français. Les gens qui sont si fiers de Céline Dion, de la voir briller ailleurs oublient très rapidement qu’elle réussit parce qu’elle a mis le français de côté. Nous, on le garde, mais il est possible également d’aimer la musique anglophone.

J’avais un éminent professeur de religion à l’UQAM qui disait: « une langue, c’est une culture. » Parlant couramment trois langues, je suis bien placée pour comprendre cela. Il est très difficile, voire même impossible parfois, de traduire correctement certaines expressions d’une langue à l’autre. Les mots sont les symboles d’une réalité d’un peuple. Les films de Pedro Almodovar, je les écoute en espagnol, car je peux saisir la richesse des paroles, les brillants textes et les mots colorés de sa langue. Je regarde les chefs-d’oeuvre de Lynch en anglais, car ceux-ci sont d’autant plus mystérieux et les mots sont merveilleusement bien choisis. On perd beaucoup de sens dans les traductions. Mais ce qui me pousse le plus à regarder les films dans leur version originale est le choix des doublures en français. Beaucoup de nos films sont traduits en France, ou en français de France, à des années-lumières de notre réalité. Et non, je ne crache pas sur le français de nos cousins. Honnêtement, vous vous rapellez la dernière fois que vous avez utilisé « ça me fout les jetons »? Avez-vous sincèrement déjà dit à quelqu’un « tu me gonfles! »  Dit le mot « poufiasse »?

Le fait que je ne me reconnaisse absolument pas dans les films doublés n’est pas ce que je trouve le plus désolant. C’est qu’au Québec, nous avons une richesse inestimable: des acteurs et actrices au talent inégalable. Et lorsque se sont des acteurs d’ici, parfois, on les force à travestir leur accent, pour un français plus « Français ». Ça me met en boule, si vous voyez ce que je veux dire. Je ne crois pas que protéger notre langue veut dire qu’il faut se transformer en Français et oublier que nous sommes Québécois. Vous savez, les Français, pour qui les biscuits sont des « cookies », qui stationnent leurs autos dans des « parkings » et promènent leurs « poodles »… Si les jeunes préfèrent les films en anglais, ce n’est peut-être pas qu’ils sont tous des assimilés ou des méchants, méchants amoureux des anglophones. C’est peut-être parce que le Français des films, parfois, c’est comme une langue étrangère.

Mais bon, je disais ça comme ça.