Il y a quelque temps, un peu par hasard -et beaucoup à cause de personnes fantastiques- je me suis retrouvée journaliste pour Nouvelles Saint Laurent, un hebdo régional dynamique, qui couvre l’arrondissement Saint-Laurent. J’étais amoureuse de mon travail, qui n’était pas un emploi ou une carrière, mais une passion débordante. Samir Khullar, alias Sugar Sammy, a déjà dit de la scène quelque chose comme « faire rire une salle entière c’est meilleur qu’un orgasme! » Pour moi, me retrouver dans une salle de rédaction à chercher des sujets, téléphoner des citoyens et des hommes politiques, me trimballer dans les rues avec mon sac trop lourd qui me donne mal au dos, revenir au bureau en courant pour rédiger des articles, ça, ça me faisait le même effet que Sugar Sammy ressent lorsqu’il fait rire des milliers de personnes!
La joie immense que me procurait mon travail n’a pas duré longtemps: TC Media élimine 11 postes de journalistes à Montréal. Je suis une de ces journalistes.
Ça m’a pris du temps avant de réagir à la nouvelle fatidique. Peut-être un peu de déni amalgamé à de l’espoir… Je ne voulais pas y croire et je me disais que si je redoublais d’efforts, je pourrais au moins partir la tête haute, avec le sentiment du devoir accompli.. Et enfin, la dernière semaine est arrivée. Les dernières journées au bureau ont été déprimantes, stressantes et m’ont profondément attristée. Ce n’est pas qu’un emploi que je perds: c’est un réseau (NDLR: une correction a été apporté au texte pour le rendre plus cohérent), un environnement, des collègues… Et puis ma tête est peut-être haute, mais ma mine est basse.
Les hebdos régionaux sont une source d’informations importantes pour les citoyens: je m’en suis rendu compte par la participation des lecteurs, qui m’écrivaient pour me faire part de nouvelles, de commentaires, de suggestions… Les organismes qui comptent sur le journal pour publier leurs activités. Les bons coups d’élèves persévérants. Les athlètes de demain qui font d’énormes sacrifices pour leur sport. Tout ça créer de l’actualité régionale. Et j’en faisais partie.
Désormais, l’incertitude et le vide. Un vide pour moi, pour mes collègues qui perdent également leur emploi, mais également pour le citoyen.
Et, alors que je m’apitoyais sur mon sort, je me suis rendu compte que mon drame est partagé. Pour certains de mes collègues, cette nouvelle est dévastatrice. Où iront-ils? Que feront-ils? Qu’est-ce qui nous attend dans le futur?
Ça me fait penser à toutes ces fois où, au téléjournal de 22h00, on annonce des coupures massives de personnel dans les usines ou autre. On pense souvent « c’est triste » ou « bah, ils se retrouveront d’autre boulot ». On oublie que les employés aiment souvent ce qu’ils font, que c’est plus qu’un simple gagne-pain. Et c’est le cas des journalistes de TC Media.
Je souhaite bonne chance à mes collègues. J’espère que les citoyens de Montréal trouveront leur compte dans l’information qu’ils recevront. Et, bien sûr, je continue à œuvrer dans le domaine tout de même. Car malgré les obstacles, j’adore ce que je fais.
Hélas, chère Mme Alcaraz Robinson, trop souvent – sinon à tout coup – une entreprise passée un certain cap dans sa croissance ne devient plus qu’une machine à revenus, une grosse presse à dollars au bénéfice de ses actionnaires. Et sa «mission» première – quelle qu’elle ait déjà pu être – ne devient plus qu’un vague prétexte relativement à sa raison d’être officielle.
La «mission» fondamentale d’hier n’est plus que la façade d’aujourd’hui.
Généralement, la «mission» prend le bord lorsque les personnes fondatrices quittent. Les nouveaux patrons ne se sentant pas viscéralement liés à cette «mission» première. L’entreprise, naguère sympathique bergère penchée sur ses brebis, se transforme dès lors progressivement en pieuvre tentant de rafler autant qu’elle le pourra de tous côtés. Et les brebis n’auront alors qu’à bien se tenir…
À une certaine époque, une pharmacie c’était une pharmacie. Un endroit où se procurer des médicaments et divers articles ayant à voir avec les questions de santé. Aujourd’hui, c’est souvent devenu un tout-en-un où on pourra faire son marché, acheter une pelle ou un appareil-photo, récupérer son courrier, et se procurer des billets de loterie.
Tout est maintenant principalement axé sur la «rentabilité». Donc, pas assez rentable? On coupe. Tout est devenu très secondaire au sacro-saint principe de la rentabilité maximale.
J’aurais de loin préféré vous écrire des mots encourageants… mais j’aurais alors dû vous mentir. Enfin, peut-être puis-je malgré tout vous glisser quelques mots potentiellement utiles: pourquoi ne pas rédiger une série d’articles ou encore un petit livre faisant quelque peu la lumière sur ce qui motive les entreprises, sur le pourquoi de leurs choix, enfin sur diverses considérations dans le genre.
(En terminant, je vous signale qu’avant d’être contraint à une retraite prématurée en raison d’un problème de santé, j’ai – parmi mes multiples chapeaux – porté celui de chroniqueur et de collaborateur auprès de plusieurs publications. Plus de 500 articles rédigés. Et cela n’inclut aucunement les plusieurs centaines de billets et de commentaires ici même dans Voir. Mais vous saviez probablement tout ça déjà. Bonne journée, Mme Alcaraz Robinson.)
Merci pour votre commentaire. J’apprécie toujours vos réponses!
je ne comprends pas pourquoi, en perdant cet emploi, tu perdrais aussi ta vocation. peux-tu m’expliquer ca stéphanie?
Bonjour Stéphanie,
Merci de partager tes sentiments par rapport à ces abolitions de postes. Je suis également des 11. J’étais depuis un an au Courrier Ahuntsic (Ahuntsic c’est bin meilleur que Saint-Laurent nanananana!).
Je me questionne aussi pourquoi la coupure de ton poste affecterait ta vocation… simple maladresse syntaxique, ou le prends-tu si durement? Pour ma part, perdre mon emploi en raison de ce qui n’est rien d’autre qu’une décision d’affaires, pour laquelle nous n’avons aucune responsabilité, n’a que renforcé mon désir de faire du journalisme.
Évidemment, cela m’a également fait comprendre, à la dure il en va de soi, que je risque de vivre ce genre de déchirement souvent dans ma carrière.
Nous oeuvrons dans une business en profonde mutation, mais le bon point, c’est que la mutation est déjà fort bien amorcée ailleurs (aux États-Unis entre autre), ce qui me laisse croire que les médias d’ici, dans un contexte de concurrence, auront de solides modèles d’affaires sur lesquels appuyer leur éventuel passage au numérique.
Pour retrouver ta vocation, je te suggère d’ailleurs l’excellent documentaire Page One, Inside the New York Times.
À bientôt.
Jean-Simon
Maladresse syntaxique! Brillamment résumé! En fait, c’est la vocation de la nouvelle régionale dont je parlais. Je ne perds pas ma vocation journalistique, comme toi, ça me motive encore plus!
Merci Jean-Simon!
@stéphanie
la phrase originale:
« Ce n’est pas qu’un emploi que je perds: c’est une vocation, un environnement, des collègues… »
maintenant tu précise que la vocation en question est celle de la « nouvelle régionale ».
la nouvelle régionale a une vocation? et elle la perd parce que tu perds ton emploi?
quelles est ta définition de vocation stéphanie?
Calinours: Bonjour vous. Je me suis presque ennuyée de vous.
Et pour une fois, c’est avec plaisir que je vous réponds!
La nouvelle régionale n’a pas une vocation. Elle EST une vocation. Je n’ai absolument pas la prétention que la nouvelle régionale perde sa vocation car je perds mon emploi. Mon égo n’est pas démesuré!
Bon, ma définition de vocation… Voyons voir, je dirais un but ultime, un appel, ce à quoi on aspire… Être une journaliste qui couvre la nouvelle locale, c’est plus qu’être un témoin. C’est de vivre avec la communauté, de prendre son pouls, tisser des liens.
ayayaye.
ok maintenant « la nouvelle régionale n’a pas de vocation » mais elle ne la perdra pas parce que tu n’ as pas cette prétention.
euh…
de ton propre aveu, la nouvelle régionale n’a pas de vocation, alors si elle ne la perd pas, c’est plutot justement parce qu’elle n’en a jamais eu, non? qu’est-ce que ton absence de prétention vient faire la dedans?
en tous cas. on apprends aussi que ta vocation, ou ton « but ultime », c’est la nouvelle locale, c’est ca? parce qu’on y tisse des liens et tout. n’est-ce pas dangereux pour un journaliste de tisser des liens avec son sujet? n’y perdras-tu pas l’objectivité nécéssaire pour écrire des bons articles?
Tu as vraiment le don de tout revirer ce que je dis à l’envers.
Et si, pour toi, créer des liens est synonyme de perte totale de jugement et d’objectivité, je suis désolée pour toi. Si pour toi être en relation avec autrui veut dire de ne plus être capable de te former une opinion personnelle, propre à toi, tout en étant capable de converser avec l’autre, je te plains.
Il est possiblement vraisemblable qu’une personne puisse créer des liens avec autrui sans adhérer à 100% à tout ce que cette personne dit.
Crois-tu que les journalistes sont des robots, des machines électriques? Une des tâches d’un journaliste, quel qu’il soit, est de converser avec des sujets. Un journaliste sportif qui tisse des liens avec les joueurs d’une équipe est forcément incapable de dire que l’équipe à mal jouée?
Je commence toujours la conversation avec toi en gardant l’esprit ouvert. Mais à chaque fois, j’en retiens une question: « why bother »?
Es-tu capable de répondre à cette question?