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La machine Harlequin

 

Un texte intéressant du Figaro sur les coulisses de la "machine" Harlequin. Vous savez, ces romans à l'eau de rose qui se vendent à 200 millions d'exemplaires chaque année?

J'avais écrit un truc en 2002 sur ce phénomène que je n'arrive toujours pas à rationnaliser. Comme c'est l'été, qu'il fait beau, que je suis paresseux, je le recycle ici…

Ô le coeur
Par Steve Proulx

Parmi les 700 000 personnes qui prennent le métro chaque jour, j'étais probablement le seul gars de 25 ans [j'étais jeune à l'époque] à être absorbé par la lecture du dernier roman de Sara Orwig, L'homme qu'elle n'attendait pas, publié aux Éditions Harlequin. Un roman à l'eau de rose dans toute sa splendeur.

Je l'avoue d'emblée: j'ai eu honte de lire ce livre en public. Par tous les moyens, j'essayais de me dérober aux yeux indiscrets des autres passagers. Un peu comme si j'étais en train de lire Les Versets sataniques de Salman Rushdie dans un bus à Téhéran… [La comparaison est boîteuse, ce n'était pas à proprement dit une provocation. J'avais plutôt l'air cave. Un peu comme si je lisais le Code Boilard du vrai gars… n'importe où!]

L'objectif de cette expérience était de comprendre l'engouement soutenu pour le roman Harlequin. Selon les statistiques, six livres Harlequin sont vendus chaque seconde dans le monde et 50 millions de femmes fondent devant ces historiettes plutôt cuculs. Le roman à l'eau de rose est le genre littéraire le plus populaire de notre époque. Inspiré du style romantique, il serait né il y a deux siècles, en France. On assiste alors à une révolution dans les comportements de lecture: les gens cessent de lire et relire toujours les mêmes textes pour s'intéresser à une série de nouveautés. C'est la naissance d'une littérature de consommation, conçue pour distraire. Elle est peu complexe et revêt un style esthétique assez faible.

Pendant 183 pages, je me suis donc plongé dans cet univers idyllique, où les hommes se promènent toujours torse nu, avec un jean taille basse… L'histoire de L'homme qu'elle n'attendait pas se résume assez facilement: Emily reçoit l'appel de sa soeur, Ambre, qui lui dit qu'elle est en danger au Nouveau-Mexique. Affolée, Emily décide d'aller la retrouver en se rendant chez son ex-beau-frère, qu'elle croit responsable des malheurs de sa soeur. Au ranch de Zack (l'ex-beau-frère), Emily découvrira un homme bien loin des descriptions peu flatteuses que lui avait faites sa soeur… Remarquez l'utilisation des points de suspension pour supposer l'idée d'un dénouement inattendu. Ceux-ci sont largement utilisés dans le roman Harlequin. Après lecture, on en vient toutefois à la conclusion que le dénouement le plus prévisible, suggéré par les points de suspension, est habituellement celui qui se réalise. Dans le cas présent, ils ouvrent la porte à une certaine histoire d'amour.

Vous dire que j'ai pris plaisir à lire l'ouvrage de Sara Orwig serait mentir. En fait, la lecture de ce court roman a été pour moi une tâche plutôt ardue. [J'en fait toujours des cauchemars, d'ailleurs] J'ai eu beaucoup de difficulté à rester concentré sur l'histoire, à suivre des conversations insignifiantes pendant des pages avant qu'enfin les protagonistes se décident à s'embrasser. Mais il faut quand même noter que les clichés n'étaient pas aussi flagrants que je l'appréhendais. L'homme qu'elle n'attendait pas s'inscrit dans ce que certains appellent le "nouveau" Harlequin. En effet, le style Harlequin évolue avec son temps. Désormais, les femmes ne sont plus soumises à l'homme; elles sont toujours séduisantes, mais célibataires et carriéristes. La nouvelle héroïne d'Harlequin a toujours fait passer le boulot avant l'amour jusqu'au moment où…

Les points de suspension. On y revient toujours…