BloguesAngle mort

Une lettre du Liban

Après presque deux semaines, je retrouve l'accès à mon blogue, laissé là pour les vacances. Tenez, j'ai reçu d'une amie une réponse que le documentariste canadien d'origine libanaise Ralph Dfouni a envoyé à un journaliste de La Presse. Ralph Dfouni est à Beyrouth actuellement. Sous les bombes. Son message est long, mais j'ai eu le goût de le publier ici pour quatre raisons: 1. C'est un témoignage humain d'une authenticité rare. 2. La Presse ne l'a pas encore publié. 3. La lettre que j'ai reçue contenait une autorisation explicite de M. Dfouni de diffuser ce message. 4. Il y a dans ce message une critique acerbe des médias, qui se contentent souvent de raconter la guerre en inondant les ondes de détails sanguinolents, croustillants, divertissants…

Cher [le journaliste en question préfère garder l'anonymat], Je vais te le dire comme c'est. Parce que je sais que tes lecteurs qui n'ont pas été lobotomisé encore par le niveau de plus en plus bas des médias de masse québécois et canadiens, par leur incapacité et leur peur à dire les choses comme elles sont et à appeler un chat un chat, sans se rendre compte que c'est exactement ce dont les gens ont besoin, ce que les gens veulent. Je parle des gens qui comptent bien sûr, et qui en ont marre de lire du folklore et de n'y rien comprendre, de ne plus faire de différence entre une nouvelle ou une photo qui vient d'Irak, d'Afghanistan, de Russie, du Congo ou du Liban, parce qu'elles deviennent toutes pareilles lorsqu'elles se font filtrer par les torchons et les journaleux qui ne savent plus écrire et qui ont besoin de Robert Fisk et de ses semblables pour pouvoir donner un sens à une quelconque vérité, à une réalité qu'ils ignorent mais de laquelle ils ne sont pas dupe. Non. Je vais donc te parler de la terreur. On s'excusera plus tard, si on survit, de ceux dont c'est le mot préféré (lorsqu'il s'agit des autres s'entend), on s'excusera plus tard des faux chrétiens, des guignols et des démagogues, des faux juifs et des faux musulmans, on s'exusera plus tard des Bush et des Harpers, des assassins et des pharisiens. Parce que la vérité c'est qu'on est terrorisé. La vérité c'est aussi que vous l'aurez été, vous aussi. Parce qu'à partir de maintenant, lorsque je dis Je, je veux dire vous. Vous et moi et nous, qui venons de perdre tout ce que nous croyions avoir acquis. Il n'y a plus de différence entre Montréal et Beyrouth aujourd'hui, comme il y'en avait il y'a 30 ou 40 ans. Nous vivons tous sur la même petite planète en voie d'extinction à cause des mêmes guignols, à cause des mêmes barbares, à cause des mêmes terroristes. Qu'ils soient de l'extrême droite chrétienne, de la Juiverie qui a perdu la boussole, ou du fanatisme musulman. Aujourd'hui la terreur à Beyrouth, demain Montréal sous l'océan de l'inconscience et de l'avidité aveugle. Je, donc, suis terrorisé. Et si je le suis, cela veut dire que je le suis par des terroristes. Je nomme l'état terroriste d'Israël, je nomme toutes les organisations (musulmanes, chrétiens, juives ou autre) et tous les gouvernements et administrations mondiales qui ont le pouvoir de terroriser et qu'ils le font. Ne croyez pas, cher ami, que vous êtes à l'abri. Ne croyez pour une seconde que le Liban est un pays très lointain, très tiers-monde, très différent du Québec. Croyez plutôt que le Liban à été, bien avant le Québec, un paradis de la libre pensée, de la culture internationale, des potentiels humains, d'espoirs et de dons au monde entier. Quand le Québec était encore sous le joug du totalitarisme d'une église fasciste. Croyez plutôt que c'est une terre biblique, que c'est la terre du premier miracle de Jésus, et croyez surtout, vous ô chrétiens de nom, que nous sommes les premiers chrétiens, que nous sommes les premiers navigateurs, que nous sommes les premiers écrivains de l'alphabet moderne que vous utilisez aujourd'hui. Croyez aussi que nous sommes comme vous, et que nos vies ne valent pas moins que les vôtres. Ayez le courage surtout de me citer. Même si je parle d'histoire, de religion ou de terreur. Même si j'appelle un chat un chat. Surtout si j'appelle un chat un chat. Je vous l'ai dit dans une lettre que je vous avais envoyé et que nous n'avez pas publié, bien que mes mots vont droit au coeur, car ils ne trompent ni ne mentent, que je n'ai ni la plume ni la verve de Richard Desjardins, mais que j'ai sa colère. Et que sans colère il n'y a pas de poésie. Pas de poésie qui puisse changer quoi que ce soit. Pas que 'quoi que ce soit' puisse être changé par des mots, cher [journaliste anonyme], mais au moins, au moins, gardons nous cet espoir mince et fragilisé par nos couardises. Est-ce que c'est vraiment ça que tu veux savoir? Est-ce que tu veux savoir que les choses manquent ou ne manquent pas, ou est-ce que tu veux savoir, toi et tes lecteurs, pourquoi les choses manquent ou ne manquent pas? Tu veux savoir ce qu'il y'a dans nos ventres, ou ce qu'il y'a dans nos coeurs et nos esprits? C'est-à-dire ce qui fait de nous des êtres humains à part entière? Ce qui fait qu'il n'y a aucune différence entre vous et moi, entre nous et toi? Est-ce qu'on veut savoir ce que mange, fume et qui il baise celui qui coupe la forêt boréale à outrance, ou est-ce qu'on veut savoir pourquoi ils sont en train de tuer la planète? Savoir pourquoi ils sont en train de tuer l'avenir de nos enfants, et des vôtres? Savoir qui sont les terroristes de ce monde (que tout ceux qui ont encore du discernement savent) et comment et avec quoi ils sèment la terreur et la destruction à leur guise et sous le couvert de se défendre. Des bombes au phosphore, me dit un ami de Montréal sur Skype hier dans la nuit, ça doit être la façon la plus étrange de se défendre dont j'ai ouie dire. Oui, Pat, c'est la façon la plus étrange. Bien que ce ne soit pas le mot. Même s'endormir est devenu une activité fatigante. Esquintante. Le lit n'est plus un parking. C'est un champ de bataille. En attente d'un autre tremblement, d'une autre verve de 23 tonnes, d'un autre message des enfants Israéliens au phosphore et pourquoi pas au Napalm? Je te le dis et te le redis, je ne suis ni du Hezbollah, ni d'Israël, ni d'aucun de ceux qui portent des fusils. Ce que je dis n'est pas nouveau et je ne suis ni le premier ni le dernier à le dire. Mais il faut arrêter d'avoir peur (et cette phrase ne sera pas un cliché tant qu'on aura peur), il faut arrêter de croire que les grands journalistes peuvent se permettre d'avoir peur. Il faut lire les grands journalistes et les hommes encore sains d'esprit, et suivre leur exemple. Car la peur nous asservi au plus fort, au mensonge, à la terreur et au laisser aller du confort stupide et complice qui finira par nous annihiler. Je suis Montréalais avant tout, même avant d'être Libanais, je sais ce que le confort d'une ville comme Montréal peut faire au courage, à la détermination et au coeur des hommes et des femmes. Mais le temps n'est plus au confort. Aujourd'hui c'est le Liban, demain c'est le Québec, c'est le réchauffement planétaire, c'est la fin du pétrole, c'est le début des grandes catastrophes planétaires et environnementales, c'est le manque d'eau potable, c'est les guerres bactériologiques et la montée des eaux des océans. Vous n'y croyez pas? C'est exactement pour ça que bientôt il sera trop tard. Vous ne voulez pas faire peur à vos lecteurs, vraiment, je crois que la vue d'une vague montant jusqu'à la croix du Mont-Royal un jour leur fera bien plus peur. Demain (et c'est déjà aujourd'hui) c'est la fin des Ours et des Bélugas (permettez-moi les majuscules), des Baleines et possiblement des Oiseaux. C'est le début des poissons hermaphrodites, du manque, du début de la fin de tout ce qu'on connaît. Tout ça est la même chose. Ne vous leurrez pas. Ce sont les mêmes mécanismes humains et politiques, les mêmes mensonges, les mêmes terreur