J'ai attendu avant de dire quoi que ce soit sur la fusillade du collège Dawson. Attendu jusqu'à ce que quelqu'un dise précisément ce que je pense de cette histoire. Le psychiatre Marc-Alain Wolf le fait, dans une lettre publiée dans La Presse. À lire…
En amplifiant démesurément l'impact d'un fait divers comme la fusillade du collège Dawson, notre société transforme le crime d'un jeune homme dérangé en un drame collectif.
Je suis frappé également par le traitement d'un événement médiatique comme celui du collège Dawson. Un spécialiste des médias se félicitait par exemple que, contrairement à la tuerie de Polytechnique, le public n'avait pas été tenu à l'écart de l'action, qu'il avait pu assister, presqu'en direct, au drame, qu'il avait pu voir, de ses yeux voir, la panique de la foule, l'émotion des jeunes étudiants, leurs cris et leurs pleurs. Je me méfie de cet engouement pour le "voir" et, plus encore, de ce culte médiatique et hystérique rendu à ce type d'événement. L'image est souvent trompeuse et elle déclenche davantage des réactions émotionnelles que des réactions rationnelles.
En amplifiant démesurément l'impact d'un tel fait divers, notre société transforme le crime d'un jeune homme dérangé en un drame collectif qui va profondément marquer les consciences et les imaginations. Si nous continuons de construire autour de ces événements le prototype de la tragédie moderne, je crains que l'effet d'émulation et de contagion propre à ces crimes spectaculaires (et surtout è leur traitement médiatique) ne vienne submerger et rendre vains les appels à la raison, à la prévention et à tous les contrôles constitutionnels possibles (psychiatriques, policiers et judiciaires notamment).
En passant, selon Influence Communication, la fusillade a reçu plus de couverture médiatique que le tsunami en Asie, le déclenchement de la guerre en Irak et l'ouragan Katrina.
Lors des évènements de mercredi après-midi, alors que TVA spéculait à qui mieux-mieux, le même réseau souligna presque avec fièrté (entre deux bilans de morts/blessés) que le réseau CNN et quelques autres réseaux européens couvraient eu aussi les évènements. Comme s’ils se réjouissaient de l’exposition de leur ville à l’étranger ou plus exactement de la vente de leurs images aériennes au quatre coins de la planéte. Je trouvais qu’il s’agissait, de la part de TVA, d’un délicieux manque de tact.
Ce type voulait une mort tragique et romantique, il demandait de force ses 15 minutes de gloires et je crois que les médias montréalais lui ont offert ce qu’il voulait sur un plateau d’or.
Il me semble dangereux de minimiser la gravité du crime de mercredi en parlant de « simple suicide » (il y a quand même une morte et deux personnes maintenues en vie artificiellement et des dizaines de jeunes traumatisé-es).
***************une réflexion intéressante****************
Plus ça change, plus c’est pareil: de Polytechnique à Dawson
Mélissa Blais, Étudiante en maîtrise en Histoire, Le Devoir, 15 septembre 2006
Plus ça change, plus c’est pareil. Le 6 décembre 1989, nos élus Robert Bourassa et Brian Mulroney s’empressent de qualifier le geste de Marc Lépine (qui a assassiné 14 femmes) de geste isolé, voire d’acte de folie. Le 13 septembre 2006, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, affirme en conférence de presse que la tuerie au Collège Dawson est un acte isolé. Quant au chef de la police de Montréal, Yvan Delorme, il déclare à peine quelques heures après le drame que le tueur n’avait aucune motivation raciste ou politique.
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(15.09.2006)
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Montréal
D’ici quelques jours, que nous révélera l’enquête policière ? Le tueur avait-il des problèmes familiaux, scolaires, une santé mentale fragile ? Autant d’enjeux déjà évoqués lors d’émissions spéciales le soir même. Dans la masse des données recueillies par la police, quels éléments les médias retiendront-ils ? Écouterons-nous enfin les motivations de ces tueurs qui, dans le cas de la tuerie du 6 décembre 1989, étaient clairement explicitées ? Marc Lépine a commis un crime antiféministe. Pourtant, diverses formes de représentations de la tuerie se côtoient et se confrontent dans le souvenir que nous conservons de cette tuerie. Autant de représentations qui détournent l’analyse des causes profondes de ces actes perturbants : responsabilité attribuée à la télévision et aux émissions violentes, à la facilité d’accès aux armes à feu, etc.
Il en est de même pour d’autres meurtres collectifs, comme ce crime commis à Columbine. Les deux jeunes tueurs étaient d’allégeance néonazie et ont tenu des propos racistes en tirant sur des Afro-Américains. Cela n’a cependant pas empêché d’attribuer la responsabilité aux jeux vidéo ou à la musique de Marilyn Manson pour expliquer la dérive meurtrière de ces jeunes hommes.
Pour paraphraser la psychothérapeute Elena de la Adea, nous devons, en tant que société, travailler sur les déterminants objectifs qui produisent ces événements afin d’empêcher qu’ils se reproduisent. En ce sens, même si le tueur du Collège Dawson avait des problèmes familiaux et de santé mentale, nous devons prendre au sérieux les explications que le tueur laisse derrière lui. Dans le cas de la tuerie du 6 décembre 1989, des psychologues, journalistes et autres analystes se sont empressés de nous expliquer que Marc Lépine avait des problèmes avec les femmes, ses parents et l’école. Au-delà des contradictions profondes de ces affirmations (un de ses professeurs disait de lui qu’il avait de bon résultats scolaires et sa voisine le trouvait plutôt gentil), nous devons comprendre et analyser les gestes des tueurs dans leurs significations sociologiques. N’est-ce pas Nicole Brassard qui demandait, après la tuerie du 6 décembre 1989 : «A-t-on jamais remis en question que Hitler ait été un homme politique parce qu’il était fou ?» Nous sommes donc appelés à travailler vers l’égalité entre les hommes et les femmes pour contrer les gestes d’imitation de Marc Lépine et vers l’égalité entre les communautés ethnoculturelles pour éviter que ne se reproduisent des tueries comme celle de Columbine.
Des gestes d’imitation du tueur de Polytechnique sont encouragés par des hommes comme Peter Douglas Zohrab, qui déclare sur Internet que «la solution de Marc Lépine pourrait devenir la voie du futur».
Je pense encore à l’actualité de 2005 quand un autre homme, Donald Doyle, disait vouloir terminer le travail de Marc Lépine en planifiant lui aussi l’assassinat de femmes ciblées. Sans compter les menaces d’imitation à l’Université du Québec à Hull le 14 décembre 1999 ou celles adressées au moyen de courriel au Conseil québécois du statut de la femme le 7 décembre 1999. Pendant que le maire de Montréal parle d’un geste isolé et qu’on tente d’éviter les débats sociologiques de la tuerie au Collège Dawson, peut-on espérer que nous écouterons le tueur cette fois-ci ? En effet, la plupart de ses semblables nous indiquent où agir pour éviter leur existence.
Melissa Blais